Pour la dixième année consécutive,
une semaine lui est consacrée...

Complexe ou compliqué, le français ?

< mardi 8 mars 2005 >
Chronique

Les instigateurs de la 10e semaine de la langue française et de la francophonie (du 17 au 24 mars) ne se sont pas montrés avares de symboles en choisissant, comme le veut une tradition désormais bien établie, les dix mots de l'année. Ne trouve-t-on pas parmi eux rayonnement (nostalgie, quand tu nous tiens...) et complexité ? Ils ne sont pas rares, en effet, ceux qui insinuent que, sur le front linguistique, la seconde est pour beaucoup dans la baisse du premier ! Belle occasion de se pencher sur les rapports, souvent troubles, qu'entretiennent dans notre lexique complexité et complication. Officiellement, le distinguo est de rigueur : c'est dans le langage courant et « abusivement », souligne Robert, que l'on fait de complexe un synonyme de compliqué. De même, Bernard Laygues, dans son ouvrage Évitez de dire... Dites plutôt... (Albin Michel) conteste le bien-fondé de l'expression : « L'évolution des espèces s'est compliquée. » Comme il ne saurait y avoir en la matière de volonté délibérée d'embrouiller les choses, mieux vaut écrire, suggère-t-il avec raison, qu'elle s'est « complexifiée ». Quant à l'étymologie, elle semble ne pas mélanger davantage torchons et serviettes : Larousse nous indique que complexe vient du latin complexus (on l'aurait parié), « embrassé », alors que compliqué, lui, descendrait du verbe complicare, « enchevêtrer ». On ne peut mieux rappeler que le complexe, c'est ce qui englobe plusieurs éléments différents quand le compliqué, lui, suppose une difficulté à comprendre, voire à exécuter. Fort de cette nuance, le grammairien n'hésitera pas à soutenir que l'accord du participe passé est chose complexe, certes, mais moins compliquée qu'on ne l'imagine... Las ! comment nier, en pratique, que la complexité d'une chose soit presque toujours vécue comme une source de complication(s) ? Après tout, le simple ne renvoie-t-il pas aussi bien à « ce qui n'est pas composé de parties » qu'à « ce qui est aisé à comprendre » ? L'étymologie elle-même ne nous servira pas longtemps d'alibi : le plicare évoqué plus haut n'est que l'intensif, plus usuel, d'un verbe plectere, lequel... a donné complexus. Pour distincts qu'ils paraissent de prime abord, les deux étymons cités remontent en fait à une seule et même souche ! Voilà pourquoi, de complexe qu'elle est indéniablement, notre langue n'a pas fini de passer pour compliquée au commun des usagers...