Les Très Riches Heures du duc de Bercy

Ces ministres qui nous la baillent belle...

< mardi 22 février 2005 >
Chronique

« On ne loue d'ordinaire que pour être loué », prétendait le sage La Rochefoucauld. C'est pourtant le blâme que vient de s'attirer le ministre de l'Économie et des Finances, pour avoir voulu se loger au-dessus de... nos moyens ! La semaine qui vient de s'écouler nous aura rappelé en effet, pour peu qu'il en fût encore besoin, qu'en dépit des bonnes intentions affichées nos hauts fonctionnaires, lorsqu'il s'agit d'économiser l'argent du contribuable, ne sont pas toujours aux pièces. Ou, comme l'atteste ce duplex de 600 m2, n'en sont pas à quelques pièces près ! Étrange malédiction, soit dit en passant, que celle qui, de Juppé à Gaymard en passant par Tiberi et Bérégovoy, semble avoir toujours pesé sur nos responsables politiques, un jour ou l'autre rattrapés par leurs frasques ou leurs imprudences immobilières... Il ne saurait être ici question de jeter la pierre mais bien plutôt de risquer une explication, aussi linguistique que dépassionnée. S'est-on un jour avisé, en effet, que le bail était indissolublement lié à l'exercice du pouvoir ? Si le premier n'a plus cours que sous son acception juridique de « contrat par lequel on laisse à quelqu'un la jouissance d'une chose pour un prix et pour un temps », qui sait encore que l'ancien verbe bailler dont il est issu a eu, tout comme son alter ego baillir, le sens de « gouverner » ? En témoigne éloquemment le bailli de nos livres d'histoire, officier royal au nom duquel, sous l'Ancien Régime, se rendait la justice et qui avait, précise Littré, « le droit de commander la noblesse quand elle était convoquée pour l'arrière-ban ». Le piquant de l'affaire, c'est que ce verbe bailler n'est plus en usage aujourd'hui — et encore ! — que dans l'expression figée et passablement littéraire la bailler belle à quelqu'un, autrement dit « lui en faire accroire », « l'abuser par des promesses » ! Troublante coïncidence... Mais l'étymologie ne fait pas que constater, elle peut aussi encourager à s'amender. En nous apprenant que bail et bailler dérivent du verbe latin bajulare, « porter sur le dos » (assez logiquement, du reste : celui qui exerce une fonction, n'est-ce pas qu'il en est... chargé ?), elle nous rappelle que le bailli, au regard de la langue, n'était à ses débuts qu'un modeste portefaix. Puissent nos ministres se souvenir de même que, pour les Latins, le minister n'était ni plus ni moins qu'un serviteur ! Mais au fait, l'étymologie est-elle encore enseignée à l'ENA ?