Quand l'allitération sert d'alibi à l'anglomanie

Look, listen, and... leave ?

< mardi 19 juin 2001 >
Chronique

Décidément, tout est bon aux publicitaires pour justifier leur anglomanie galopante ! En témoigne le nouveau slogan du groupe — réputé français — Thomson, apparu de façon furtive il y a plus d'un an (nous lui avions consacré une brève le 30 mai 2000) et aujourd'hui solidement implanté sur nos écrans : Look, listen and live. Nul doute que l'auteur dudit slogan, loin de sacrifier aux coupables penchants de nombre de ses confrères pour la langue de Shakespeare, n'ait en l'occurrence voulu remettre au goût du jour le procédé bien connu de l'allitération. Ce dernier consiste, faut-il le rappeler, à répéter une consonne, initiale ou non (ici la liquide l), dans une suite de mots rapprochés. Les exemples, dans notre littérature, sont légion. Le plus célèbre est sans doute aucun ce vers tiré de l'Andromaque de Racine : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? L'accumulation des consonnes sifflantes, beaucoup mieux que de longs discours, y évoque l'attitude menaçante des reptiles. Il s'agit là d'un procédé d'harmonie imitative — ne s'ingénie-t-on pas, par le biais des sonorités employées, à imiter le bruit que produit la chose signifiée ? — dont la poésie, surtout, se montre friande. Le confirme cet autre vers, de Victor Hugo cette fois, qui, grâce au recours insistant à la sonorité f, symbolise à merveille la douce caresse du zéphyr : Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle (Booz endormi). Deux exemples parmi une infinité d'autres, et qui démontrent, s'il en était besoin, que l'allitération — pour anglais que soit, à l'origine, le terme qui la désigne — n'est pas une exclusivité d'outre-Manche. Il n'est d'ailleurs pas prouvé que la version française du slogan, Regardez, écoutez et vivez (proposée en note... et en tout petits caractères, comme la loi l'exige) se fût révélée commercialement moins efficace : plus trace d'allitération, certes, mais une assonance en [é], procédé voisin qui porte, lui, sur les sons vocaliques. On est en droit, en effet, de s'inquiéter de la réaction de ceux, de moins en moins isolés, que commencent à agacer ces accès de snobisme répétés... Vous ne voyez pas que, subitement, vienne à ces grincheux l'idée de détourner le message en Look, listen and... leave ? (Traduction très libre : « Regardez, n'en croyez pas vos oreilles... et sauvez-vous à toutes jambes ! »)