Ça eut payé ? Ça eût payé ? Ça a eu payé ?

En tout cas, ça ne paye plus !

< mardi 5 juin 2001 >
Chronique

Bourreau d'enfants... C'est étudié pour !... Y'a comme un défaut... S'il est un humoriste qui a influencé nos habitudes langagières, c'est bien Fernand Raynaud. Raison de plus, conclut un lecteur de Faches-Thumesnil, pour ne point trahir son héritage : faut-il écrire, comme il incline à le faire, ça eût payé ? Ou, comme on le voit écrit sur la pochette de certains disques, ça eut payé ? Ou encore, à l'instar d'Albert Hamon dans ce glossaire des curiosités du français offert à tout acheteur du dictionnaire Hachette 2001, ç'a eu payé ? Commençons par écarter, sans le moindre état d'âme, la deuxième de ces solutions : qu'irait faire un passé antérieur dans cette galère ? L'absence d'accent circonflexe est le probable résultat d'une négligence : il n'est pas rare qu'une pochette de disque soit à côté de la plaque, c'est même sa vocation première. La version qui a la faveur de notre lecteur a de tout autres références à faire valoir : l'accent circonflexe révèle en effet un conditionnel passé deuxième forme et fait de notre expression l'équivalent de ça aurait payé. Grammaticalement, la cause est plaidable : on peut toujours comprendre que cela aurait payé autrefois, mais que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Stylistiquement, c'est une autre affaire. Faut-il rappeler que le héros de la saynète est un « pauv' paysan », et qu'il est a priori peu probable que Fernand Raynaud mette dans sa bouche un conditionnel passé deuxième forme, tournure de fin lettré s'il en est ? Il semble donc qu'Albert Hamon soit dans le vrai, ce que vient d'ailleurs confirmer, à l'élision près (elle n'est jamais conseillée après ça), l'édition des œuvres complètes de l'humoriste : c'est bien la graphie ça a eu payé qui est utilisée, dans le titre comme dans le corps du texte. Reste que l'emploi du passé surcomposé, ici, n'a rien d'orthodoxe : ladite forme ne se conçoit d'ordinaire qu'en relation avec un autre temps du passé, ce qui n'est visiblement pas le cas du présent ça ne paye plus... Grevisse signale pourtant que, dans certains usages régionaux, on utilise le passé surcomposé en lieu et place du passé composé. Voilà qui expliquerait que notre paysan y eût recours, pour souligner que l'âge d'or est décidément fini. Il n'empêche : isolée de son contexte, la tournure est à prendre avec des pincettes !