Vous travaillez sur Lille ?

Ne le prenez pas de si haut !

< mardi 30 novembre 1999 >
Chronique

Que penser de quelqu'un qui vous apprend, un soupçon de gravité dans la voix, qu'il travaille sur la métropole lilloise ? Que, couvreur, il passe son temps à crier sur les toits ? Qu'il est aiguilleur du ciel à Lesquin ? Ou que le seul endroit, par les portables qui courent, où il puisse encore accomplir sereinement sa tâche est la grande roue de nos fins d'année ? Gardez les pieds sur terre : dût-il occuper le dessus du panier, votre personnage en quête de hauteur a toutes les chances d'œuvrer sur le plancher des vaches. Il ne fait en réalité que sacrifier à cette mode qui veut qu'aujourd'hui la préposition sur soit accommodée à toutes les sauces, y compris les plus indigestes. N'a-t-elle pas évincé la plupart de ses congénères : à — nous venons de le voir, et ce n'était là qu'un exemple parmi d'autres (« il fait vingt degrés sur Paris », « les ventes ont augmenté de 50% sur Lyon ») — mais aussi dans (« trente mille manifestants sur le Nord-Pas-de-Calais »), en (« faire quelque chose sur deux heures »), par (« deux fois sur la semaine »), contre (« être fâché sur quelqu'un »), vers (« les poids lourds se dirigent sur Paris »), par rapport à (« rien de neuf sur l'an dernier »), etc. Un abus de position dominante qui ne doit pas grand-chose à celui qu'aux États-Unis on reproche à Bill Gates, et sur lequel serait bien inspirée de se pencher la Direction générale de la concurrence grammaticale ! Le sociologue diagnostiquera une folie des hauteurs comme seule sait en engendrer notre société de consommation. L'avocat de service (il s'en recrute de plus en plus parmi ceux pour qui l'usage justifie tout) plaidera l'approximation et traquera le distinguo entre « travailler à Lille » (dans la ville même) et « sur Lille » (aux alentours)... mais pourquoi, dans ce dernier cas, ne pas dire dans la région lilloise ? L'homme de simple bon sens — à moins qu'il ne s'agisse là de ce puriste si honni ? — y verra, lui, une nouvelle preuve du flou actuel de notre pensée, lequel nous conduit de plus en plus impunément, avec la bénédiction de certains lexicographes, à employer un mot pour un autre. Boileau, reviens !