SÃO PAULO

Sampa, le Brésil au-delà des clichés

supplément du 5 avril 2009

Surtout ne cherchez pas sur la carte. Sampa est à São Paulo ce que Frisco est à San Francisco. Un surnom. Un sobriquet. Aussi bien, c'est à peu de chose près ce que l'on perçoit quand l'homme du cru parle de sa ville. Le « o » ne se prononce pas. Quant à la liquide qui le précède, elle se love paresseusement dans l'arrière-gorge, comme pour préserver la part, si nécessaire, du mystère. Car cette ville, autant vous prévenir tout de suite, ne se donne pas d'emblée : il faut savoir la courtiser.

Le Brésil, ça ? Allons donc ! Cette mégapole de quelque vingt millions d'âmes, large du bassin et haute sur pattes, n'est pas soluble dans vos fantasmes. La plage ? Sous les pavés, comme il nous est arrivé de l'imaginer, certains jours enfiévrés de mai ! Ce rythme obsédant que dans votre enthousiasme vous aviez laissé impunément trotter, tout au long du voyage, sur des images que vous ne saviez pas encore d'Épinal ? Vous avez beau chercher depuis votre arrivée, vous ne parvenez pas à remettre la main dessus. C'est que dans l'air et à vue de nez, ici, danse plus de pollution que de samba. Ces parties de football improvisées entre gamins des favelas, censées révéler sous peu, à un monde éperdu de reconnaissance, le prochain Pelé ? Au musée ! Fascinant, au demeurant, ce « Museu do futebol », niché dans les entrailles vibrantes du stade du Pacaembu, et pas chauvin pour un... real : on s'y extasie même sur les prouesses d'un Zidane qui n'a pourtant pas dû laisser, dans les parages — et un, et deux, et trois-zéro ! —, que des souvenirs attendris. Mais, pour tout avouer, nous aurions autant aimé que le ballon jaillît d'une ruelle adjacente pour rebondir sur nos rêves. Ayrton Senna ? Ce n'est plus désormais qu'une rocade au triste béton, sur laquelle des véhicules poussifs, enlisés dans une circulation très occidentale, ont depuis longtemps renoncé à singer les bolides. Et les Brésiliennes, alors ? Pour pouvoir répondre, il eût déjà fallu croiser le regard de celles qui survolent, à grandes enjambées félines, cette Avenida Paulista bordée de banques, visiblement plus préoccupées par les dernières courbes de la Bourse que par celles, réputées splendides, qu'elles offrent au passant démuni.

Contre mauvaise fortune bon cœur, on se dispose déjà à philosopher. Baudelaire et son « amer savoir, celui que l'on tire du voyage », ne sont plus très loin. Du Bellay pas davantage, qui, pour un peu, nous inviterait à retourner vivre entre nos parents le reste de notre âge ! À dire vrai, l'on n'a pas compris encore que cette première désillusion est l'indispensable préalable à une découverte enfin authentique de la ville. Qu'il faut bien que s'étiolent les idées reçues pour que s'épanouissent ces petits bonheurs simples que São Paulo ne demande qu'à nous distiller, pour peu que l'on aille les chercher là où, pudiques, ils se terrent. Du côté de la cathédrale de la Sé, peut-être, là où, dans le sillage des jésuites, il y a quelques siècles, l'aventure a commencé. Dans les allées du parc d'Ibirapuera, aussi, où la nature, à la faveur d'improbables mais fulgurantes trouées, retrouve tout à coup ses droits. Dans celles, plus odorantes encore, du Mercado Municipal, gigantesque temple voué aux nourritures terrestres, jardin d'Éden où la pomme elle-même se fait moins tentatrice, entourée qu'elle semble être là de tous les fruits de la création. Au détour d'un magasin de cotillons, vomissement de couleurs qui se répand jusque sur le trottoir et nous rappelle opportunément que le carnaval, ici, est toujours prêt à renaître de ses cendres. À l'ombre sereine et rafraîchissante des murs de la mission, là où se tortille le tronc malingre du brésil auquel l'un des plus vastes États du monde doit son nom. Au cœur d'une churrascaria, un de ces grills typiques où le « passador » vient découper la viande, cuite au feu de bois, à votre table, à même la brochette. À moins que ce ne soit, plus simplement encore, au fond de votre verre de « caipirinha », ce cocktail à base de cachaça locale, qui, d'entre les volutes de son citron vert, vous parle du pays mieux que ne pourra jamais le faire le plus documenté des guides.

Ah ! on allait oublier : les habitants de São Paulo se sont vu élire, en 2006, « les plus gentils » de la planète. Gageons que seules leur auront manqué les voix des Cariocas voisins... et jaloux ! Vraiment sympa, Sampa...

 

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