Coquilles en stock

Errata non grata

< mardi 26 septembre 1995 >
Chronique

Pour le journaliste, l'orthographe n'est pas loin de symboliser le pire des cauchemars. Non qu'à l'origine il soit toujours brouillé avec elle, il s'en faut : sa formation, essentiellement littéraire, le favoriserait plutôt et Bernard Pivot le range, le plus naturellement du monde, parmi les professionnels de ses championnats. Mais les impératifs techniques et commerciaux de la presse moderne, l'urgence qui préside à chacune de ses tâches, les conditions de travail souvent difficiles qui sont les siennes, sont autant de tapis rouges déroulés devant Sa Majesté la coquille ! Que dire, alors, de son désarroi devant les missives, vertueusement indignées, qui échouent sur son bureau pour y parler d'incompétence, d'ignorance ou, à tout le moins, de négligence ?...

De quelques précautions que l'on s'entoure, cette rubrique — à haut risque ! — ne fait pas toujours, hélas, exception à la règle commune : nous y avons relevé, au fil des sept articles qu'elle compte déjà, deux impuretés, mineures certes, mais qui n'auront pas échappé à l'œil exercé de nos lecteurs. À quelque chose, pourtant, de semblables « coquillettes » sont utiles puisque, bonnes pâtes, elles vont nous permettre d'aborder deux sujets des plus épineux...

Un point, c'est tout !

Le premier accroc remonte à l'article du 2 août : l'abréviation etc., sans doute victime de la chaleur ambiante, s'y était incongrûment dépouillée de son point. Effeuillage d'autant plus répréhensible qu'il ne permettait pas de rompre nettement avec la tendance, actuelle et non moins coupable, à user en l'espèce de points de suspension ! Etc. n'est d'ailleurs pas, il convient de le préciser, la seule abréviation française à être ainsi mise à mal, et nous n'aurons pas trop d'un article entier, un jour prochain, pour rouvrir ce volumineux dossier.

Un pluriel bien singulier !

Deuxième dérapage (j'aimerais dire « second », mais qui peut affirmer que ce sera là le dernier ?) le 29 août : le papier du jour s'appuyait sur des ouvrages de références qui se seraient aisément passés de ce s intempestif ! L'occasion ou jamais de faire un sort au problème, ô combien délicat, de l'accord en nombre du nom complément... « Lorsque deux noms sont unis par de, remarquait Adolphe Thomas dans un ouvrage qui continue à faire autorité, il y a souvent hésitation quant à l'accord en nombre du second. » Et d'ajouter, en ne risquant guère d'être contredit, qu'il n'est pas facile d'édicter une règle à ce sujet ! Certes, il n'est pas impossible de se cramponner à quelques bouées : singulier quand le deuxième terme implique une idée d'unicité (des coups de pied, qui se donnent avec le pied) ou de généralité (un lit de plume, fait avec de la plume) ; pluriel quand on met l'accent sur la pluralité, la diversité (des peaux de bêtes) et chaque fois que le deuxième nom est habituellement au pluriel dans l'expression correspondante (un manque d'égards puisque l'on a des égards pour quelqu'un). Mais en dehors de ces cas types, force est de reconnaître que c'est la bouteille à l'encre, et que seul l'usage, souvent, décide. Ce flou — artistique ? — n'est pas, on s'en doute, sans provoquer quelque cacophonie : Hanse tolère des toiles d'araignées quand ses confrères ne veulent entendre parler que du singulier ; Larousse et Robert s'accrochent sur les boucles d'oreille(s), avec ou sans s ; Hachette se singularise avec son champ de manœuvres au pluriel ; jusqu'au Nouveau Petit Robert qui affiche sa perplexité en misant habilement sur les deux tableaux  : agence de voyages à l'entrée « agence », agence de voyage à l'entrée « voyage » ! On comprend pourquoi les compétitions orthographiques, déjà riches en litiges, évitent soigneusement ce genre de traquenard (ou traquenards ?) !...