« Fainéant », « feignant » :
une façon de (ne pas) faire,
mais deux façons de dire...

< dimanche 24 septembre 2017 >
Chronique

Le mot a déserté, sinon les couloirs, du moins les conseils de classe d'une Éducation nationale qui voit désormais, dans ces têtes pas toujours blondes mais de plus en plus chères, des élèves pouvant « s'investir davantage »...

Des plus curieusement, pourtant, il arrive que ce politiquement correct épargne les milieux... politiques ! Témoin la récente sortie d'un président de la République à l'évidence soucieux de parler vrai. L'intéressé est d'ailleurs un fieffé récidiviste : qui ne se souvient que, du temps où il n'était encore que ministre de l'Économie et des Finances, il avait déjà défrayé la chronique en qualifiant d'« illettrées » une partie des salariées de l'abattoir Gad ?

Il ne nous appartient pas, cela va de soi, de nourrir une polémique qui dépasse de beaucoup le cadre étroit de la linguistique. On nous reprocherait en revanche de ne pas saisir l'occasion de rappeler ici l'étonnant parcours d'un mot qui, depuis toujours ou presque, s'est fait tailler un costume pour la semaine et un autre pour le dimanche.

Chacun le sait, au commencement est fréquemment le verbe, en l'occurrence feindre. C'est son participe présent, feignant (que l'on pouvait aussi écrire faignant), qui, à la fin du douzième siècle, s'est appliqué le premier au flemmard, à celui qui « faisait semblant » de travailler, qui mimait l'effort. Qui, au grand dam d'un proverbe connu, préférait... bien dire et laisser faire ! Notre fainéant n'est arrivé qu'après, à la faveur d'une reconstruction qui avait tout du jeu de mots : celui qui « fait néant » ne fait rien, au point de ne plus prendre la peine de donner le change !

Le piquant de l'affaire, c'est que non seulement ces deux graphies se sont maintenues, mais elles sont allées jusqu'à échanger leurs rôles : à fainéant, aujourd'hui, les honneurs dus au langage soutenu ; à feignant la touche populaire, voire familière ! Les prononciations respectives laissant peu de place au doute, on n'aura aucune peine à vérifier que, comme il se doit à l'époux d'une ancienne prof de lettres, c'est au premier que le chef de l'État a eu recours dans son discours controversé. Mais c'est souvent le second qu'il nous a semblé entendre sur les lèvres de ses détracteurs outrés. Histoire de renforcer, l'hypocrisie venant dans ce cas s'ajouter à la paresse, le côté péjoratif qui fâche et contribuera éventuellement à grossir les rangs des manifs à venir ?