Nouvelle orthographe :
et le chapeau, de la cime,
tomba dans l'abîme !

< dimanche 21 février 2016 >
Chronique

Qui l'eût cru, que ce moyen mnémotechnique cher à l'école d'hier se révélerait à ce point prémonitoire ? Que l'abîme guettait pour de bon un accent circonflexe qui, longtemps, connut l'ivresse des sommets ?

Commençons par raison garder : il est excessif d'affirmer que la nouvelle orthographe veut la mort de l'accent circonflexe. Ne sont visés que ceux qui coiffent les « i » et les « u ». C'est que sur ces deux voyelles la suppression est indolore sur le plan phonétique : épître se prononce comme chapitre, bûche comme ruche. Il n'en va pas de même pour le « a » (tache et tâche) ni pour le « o » (cote et côte). Pour ce qui est, enfin, du « e », l'inévitable substitution d'un accent aigu ou grave, selon les cas, eût entraîné de nouvelles difficultés : remplacer tête et têtu par tète et tétu, eût-ce été bien raisonnable ?

Encore tous les « i » et les « u » ne sont-ils pas dans le collimateur. Sont exceptés les accents circonflexes de la conjugaison : pas touche à ceux qui signent un passé simple (« nous fîmes », « vous fîtes ») ou un imparfait du subjonctif (« qu'il fût »). De même, les réformateurs jurent leurs grands dieux qu'il n'est pas question de s'en prendre à ceux qui permettaient jusqu'ici une distinction utile : retirez à jeûne son accent circonflexe, et l'on ne saura plus si celui qui « fait jeune » a des traits juvéniles ou respecte le carême...

Louables résolutions, restées hélas lettre morte ! On lit aujourd'hui dans le Petit Larousse que « dans le cadre de l'orthographe rectifiée, on peut écrire mûr, mure, murs, mures et sûr, sure, surs, sures ». N'est-il pas à craindre, pourtant, que « des jeunes gens murs ne soient un jour amenés à raser les murs » ? qu'« une potion sure ne soit préparée d'une main sure » ? Ce qui fonctionnait, dans l'orthographe traditionnelle, pour le participe passé de devoir (dû, due, dus, dues), parce que les formes du féminin et du pluriel ne risquaient pas d'être confondues avec quoi que ce soit, ne vaut plus ici ! On nous objectera que le contexte permet souvent de trancher. Mais une langue n'est jamais trop claire : est-ce la servir que de lui retirer un signe qui lui permettait parfois de l'être un peu plus ?

Réformer la langue, pourquoi pas ? Mais si cela doit aboutir à recréer en aval les incongruités que l'on supprime en amont, on est fondé à se demander si le statu quo n'était pas de loin préférable... (*)

(*) Nous souhaitons notamment bien du plaisir aux enseignants qui vont devoir désormais expliquer à leurs ouailles ébahies qu'il sied d'écrire « un melon mûr », mais « une pêche mure » ! Voilà qui, à n'en pas douter, ressortit en effet à la logique et à la cohérence dont se réclame ouvertement la nouvelle orthographe... D'ici que les féministes voient dans ce distinguo farfelu une nouvelle discrimination émanant de grammairiens machos, il n'y a qu'un pas !