Nouvelle orthographe :
une curieuse conception de la « responsabilité » !

< dimanche 14 février 2016 >
Chronique

Un quart de siècle après, voilà que la « guerre du nénufar » se rallume. Personne ne comprendrait que, dans les semaines qui viennent, le chroniqueur de langue ne livre ici son sentiment et son analyse. Il le fera.

Que lui soit pourtant permise une réflexion liminaire, en forme d'étonnement. Pour se donner une chance d'échapper aux préjugés, arguments caricaturaux et autres avis à l'emporte-pièce auxquels ce genre de polémique ne prédispose que trop facilement, il s'est au préalable replongé dans La « nouvelle » orthographe, le livre qu'avait publié en 1991 l'un des membres les plus influents du Conseil supérieur de la langue française, le professeur André Goosse. Le gendre et continuateur de Maurice Grevisse y défendait bec et ongles les ajustements que l'on sait, avec le talent que lui confère une connaissance très fine de notre idiome.

Le passage qui a retenu l'attention de votre serviteur se trouve à la page 47 du livre susdit. On y lit en effet : « Les enquêtes menées par la commission Beslais ont permis de constater que les fautes les plus fréquentes concernent, en France, (...) dans les copies du baccalauréat : 1) l'accent circonflexe (45,9 %) ; 2) les consonnes doubles (34,72 %) ; 3) les finales ant/ent, ance/ence (5,59 %) ; 4) les lettres grecques (2,21 %). » Et Goosse d'ajouter dans la foulée : « L'accent circonflexe est donc le principal responsable des fautes. »

L'auteur de ces lignes mentirait s'il affirmait avoir sursauté à la lecture de cette dernière phrase, il y a quelque vingt-cinq ans. Aujourd'hui, il n'est pourtant pas loin de se demander si ne s'y trouve pas résumée tout entière la philosophie qui a présidé aux « Rectifications » de 1990.

L'accent circonflexe responsable ? Mais la responsabilité n'incomberait-elle pas plutôt à qui fait la faute ? Viendrait-il à l'idée de traiter de responsable la victime d'un meurtre, sous le prétexte qu'elle n'avait pas à se trouver là ? À cette aune, le responsable des excès de vitesse n'est pas le chauffard, encore moins l'alcool qui le pousse à appuyer plus que de raison sur le champignon, mais bel et bien... le radar qui les enregistre. Supprimez celui-ci, on ne parlera plus d'infractions !

On entend d'ici la morale que La Fontaine eût tirée de tout cela : « Au lieu de chercher à vaincre la difficulté, on l'élude. C'est la devise des hommes d'aujourd'hui. »