L'unanimité, ça va ;
l'unanimisme, bonjour les dégâts !

< dimanche 1er février 2015 >
Chronique

Si un mot a fait florès dans les médias, ces derniers jours, c’est bien unanimisme. Reste à savoir s’il a toujours été compris, et si, eu égard au flou des dictionnaires, il a signifié la même chose sous toutes les plumes !

Inutile, déjà, d’aller quémander du secours sous la Coupole : l’unanimisme n’est pas connu de l’Académie. Un comble quand on songe que c’est un de ses membres, Jules Romains, qui a créé le vocable, au début du XXe siècle ! Encore le mot n’avait-il qu’un lointain rapport avec celui d’aujourd’hui, puisqu’il s’agissait seulement d’inciter les écrivains à « exprimer la psychologie collective », en peignant l’individu « dans ses rapports avec les autres ». Autant dire que la connaissance dudit terme ressortit longtemps au délit d’initié...

Cela dit, nos dictionnaires usuels, censés serrer l’évolution de la langue de plus près que des immortels accoutumés au train de sénateur plutôt qu’au TGV, ajoutent désormais à cette acception littéraire un sens courant : « opinion unanime, consensus » pour Larousse, « accord complet, consensus » pour Robert.

Qui ne se demanderait, au vu de telles définitions, ce que l’unanimisme ajoute alors à notre bonne vieille unanimité ? si le premier n’est pas à la seconde ce que, grâce à une certaine Ségolène, la bravitude fut un moment à la bravoure, soit un doublet aussi inesthétique que superfétatoire ?

Voilà qui cadrerait mal, en tout cas, avec la réalité du terrain. En effet, si l’unanimité a d’abord été encensée, portée au pinacle, érigée en rempart contre le terrorisme, l’unanimisme a, lui, vite fait l’objet de nombreuses réserves, au point d’être affublé de qualificatifs peu gratifiants : « dangereux », « suspect », « factice », voire « bêlant » ! Difficile, partant, de voir dans unanimisme un synonyme d’unanimité !

Le TLF (Trésor de la langue française) ouvre heureusement une autre piste, autrement féconde : l’unanimisme, en politique, ne serait pas le consensus, mais la recherche (intéressée ?) de celui-ci, avec ce que cela suppose de compromis, d’abandons et, finalement, de conformisme. Car il ne faudrait pas, sous peine de tomber de Charybde en Scylla et ressusciter le rhinocéros cher à Ionesco, que l’on sacrifiât sur l’autel de la liberté d’expression la non moins nécessaire diversité des opinions, autre pilier de nos démocraties : à y bien réfléchir, du reste, celle-là peut-elle s’épanouir sur un autre terreau que celle-ci ?