Pourquoi le caricaturiste
est-il, par essence,
voué à en faire... des tonnes ?

< dimanche 25 janvier 2015 >
Chronique

D'aucuns, qui se disaient pourtant Charlie lors de la marche du 11 janvier, ont regretté que la une du dernier numéro ait de nouveau représenté Mahomet, au risque de mettre à mal une unanimité chèrement acquise...

Mais, étymologiquement parlant, pouvait-il en aller autrement ? Les dictionnaires nous apprennent que le mot caricature descend, par l'italien, du latin tardif carricare, lequel signifiait « charger ». Au sens propre et bassement matériel, d'abord : ne s'agissait-il pas, au premier chef, de mettre dans le carrus, autrement dit de « remplir le char » ? C'est seulement par la suite que, sur cette idée première, est venue se greffer une connotation d'excès, dont le figuré a aussitôt fait ses choux gras : ainsi l'estomac s'est-il retrouvé « chargé » dès lors que l'on abusait des bonnes choses, de même que le malheureux inculpé dont on aggravait sans vergogne les chefs d'accusation. Le petit monde des prétoires ne parle-t-il pas encore de témoins à... charge ?

Est-il besoin de souligner le rapport qu'entretient notre caricature, aussi appelée « portrait-charge », avec ce qui précède ? On sait que le caricaturiste n'est rien moins qu'attiré par l'objectivité : qu'il use de dessins ou de mots, il pèse le contre bien plus que le pour, appuie là où ça fait mal, exagère les défauts de sa victime pour la ridiculiser. Non qu'il ne puisse souvent atteindre, par là, à une vérité plus probante que la réalité même : c'est qu'il est souvent nécessaire de grossir le trait pour qu'il porte ! Mais il serait vain d'attendre de l'intéressé qu'il fît dans la mesure, a fortiori dans la demi-mesure : il n'est point soluble dans le consensus mou.

Allez vous étonner, après cela, que Luz, l'un des rares rescapés de la tuerie du 7, soit revenu à la charge... Las ! ce qui est charge humoristique pour les uns devient chez les autres, à la faveur d'une autre acception du mot, attaque violente : croquer le Prophète, c'est certes le dessiner sommairement, en faire un croquis, mais qui niera que, pour quiconque se sent agressé, ce verbe-là ne puisse prendre une dimension plus provocante ? Y en aura-t-il beaucoup pour prétendre que, quand ils trouvent une femme « belle à croquer », ils n'ont d'autre idée dans la tête que de faire son portrait ? Notre langue, décidément, est à l'image de l'auberge espagnole : on y trouve surtout ce que l'on y apporte.