Je m'en rappelle ? Je me le rappelle ?

Souvenirs, souvenirs...

< mardi 14 janvier 1997 >
Chronique

« Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence... » Il n'est pas impossible que les poètes d'aujourd'hui y regardent à deux fois avant de plagier l'immortelle question de Lamartine. Ne risqueraient-ils pas, par les temps qui courent, de s'entendre répondre : « Je m'en rappelle tout à fait » ? Ne déposons pas les rames pour autant, essayons plutôt de rafraîchir les mémoires !

Le verbe se rappeler étant transitif direct, il ne peut se construire avec la préposition de : je me rappelle du bon vieux temps est une tournure critiquable, à laquelle il convient de substituer je me rappelle le bon vieux temps. Pour les mêmes raisons, des constructions telles que rappelez-vous-en, la journée dont je me rappelle, je me rappelle de l'avoir lu seront avantageusement remplacées par rappelez-vous cela, la journée que je me rappelle, je me rappelle l'avoir lu... Naturellement, si vous ne pouvez vous passer de la préposition de, vous avez toujours le loisir d'utiliser l'équivalent se souvenir : les tours je me souviens du bon vieux temps, souvenez-vous-en, la journée dont je me souviens, je me souviens de l'avoir lu sont, eux, irréprochables. Du moins en est-il ainsi — ajouteront, un rien perfides, ceux qui se défient de tout purisme — depuis qu'au XVIe siècle se souvenir a obtenu droit de cité ! Jusqu'alors, seule la tournure impersonnelle il me souvient de, celle-là même qu'emploie Lamartine et dont nous n'avons pas totalement perdu l'usage, dans la langue littéraire il est vrai, était reçue pour correcte. Car tout évolue, on le sait, sous la pression de l'usage : Hanse ne semble-t-il pas accepter aujourd'hui je me souviens l'avoir vu aussi bien que je me souviens de l'avoir vu, de toute évidence plus conforme à la syntaxe ? En attendant, nous ne saurions trop conseiller à quiconque se pique de respecter la langue d'éviter de marier le verbe se rappeler au pronom en. Sauf si, bien sûr, ce en est complément du nom et non du verbe : la phrase J'ai vu ce film, mais je ne m'en rappelle pas le dénouement est, cela va sans dire, exempte de tout reproche !