La langue française,
c'est compliqué... tout plein !

< dimanche 26 juin 2011 >
Chronique

Quiconque écrirait aujourd'hui qu'il a fait l'acquisition d'une maison « en plaine campagne » se verrait à coup sûr chambrer d'importance par son entourage et renvoyer à ses chères études orthographiques. Et pourtant celui-là aurait surtout tort d'avoir raison : telle est bien la graphie que préconisait — jadis ! — le Dictionnaire de l'Académie française...

Que lit-on, en effet, dans l'édition de 1765 ? « On dit qu'une maison est en plain champ, en plaine campagne pour dire qu'elle est au milieu du champ, en rase campagne. » N'oublions pas que l'adjectif plain, s'il ne survit plus guère au vingt et unième siècle que dans le plain-chant et le plain-pied, a longtemps eu pignon sur rue pour désigner ce qui était « plat, uni, égal ». C'est la concurrence déloyale qu'allait lui faire son homonyme autrement courant, plein, qui l'a précipité sans autre forme de procès dans les oubliettes du lexique. Et ce, avec d'autant plus de facilité que la locution en plein signifie elle aussi « au milieu, au cœur de » ! Ajoutons, à la décharge de tous ceux qui s'y sont trompés, que la graphie primitive avait, quand on y songe, un faux air de pléonasme : la campagne, au sens premier du terme, était à elle seule une terre plate, une vaste étendue de pays découvert, sans reliefs très importants — « par opposition, précise le Grand Robert, aux montagnes, aux bois et aux régions maritimes ». Dès lors, parler de plaine campagne relevait, à tout le moins, de la redondance expressive !

La substitution de plein à plain a d'ailleurs connu bien d'autres terrains que celui, accidenté ou non, de ladite campagne. Si les candidats au baccalauréat prendront de plein fouet, dans quelques jours, leurs résultats, leurs lointains prédécesseurs les recevaient, eux, de plain fouet, par référence au tir horizontal d'une batterie. L'histoire ne dit pas, dans l'hypothèse d'un échec, ce qui fait le plus mal ! De même, si de nos jours les fêtes battent leur plein (et non pas « son plein », en dépit d'une légende tenace à laquelle il importe plus que jamais de tordre le cou), la mer elle-même a longtemps flotté entre les deux graphies. « Le plein de l'eau, note encore un Grand Robert qui ne craint pas de faire des vagues, n'est peut-être que le plain de l'eau, la mer étale. Mais, outre que la mer est plaine également à marée basse, le sens de plein convient bien aux rades, aux bassins des ports qui s'emplissent à marée haute. » De même encore, la moquette de nos voisins de Belgique est ici un tapis plain, là un tapis plein. De quoi, diraient nos cousins du Québec, s'enfarger dans ses fleurs !

Il faudrait enfin citer le terre-plein, qui s'est lui aussi écrit terre-plain sous prétexte qu'il désignait, en termes de fortifications, la partie horizontale d'un rempart, alors qu'à l'origine il s'agissait plus vraisemblablement, selon Alain Rey — et l'italien terrapieno en témoigne —, d'un « endroit rempli de terre » ; voire, en héraldique, l'écu, toujours plain chez Larousse, plutôt plein chez Robert.

Pour ceux que désespéreraient ces subtilités étymologiques, il ne reste d'autre solution que la boisson. Ce domaine béni des dieux où le verre, en fonction de votre degré d'optimisme, ne saurait jamais être qu'à moitié plein ou à moitié... vide !

Pour en revenir à nos campagnes initiales, il en est une, du moins, qui ne laisse aucune place à l'hésitation : c'est l'électorale. Il est rare que celle-là s'apparente à une morne plaine, et les prémices de la prochaine nous promettent, au contraire, de sérieuses aspérités. Nul doute, donc, que ce ne soit en pleine campagne que nous nous retrouvions bientôt. Un signe qui ne trompe pas, autant qu'un moyen mnémotechnique : avant même qu'elle ne soit officiellement lancée, beaucoup avouent en avoir déjà... plein le dos !