Les jeunes-turcs à l'assaut de Mamamouchirac

Querelles byzantines

< mardi 19 octobre 2004 >
Chronique

« Is good or Iznogoud ? » C'est, pour l'heure, la question qui fâche. En termes plus choisis : la marche turque sera-t-elle, pour l'Europe, synonyme d'ascension ou de dégringolade ? De quelque façon qu'on la formule, ladite question divise les Français. Surtout elle oppose — car, pas plus que les autres, elle n'est exempte d'arrière-pensées politiques — le Grand Mamamouchirac, partisan déclaré de l'élargissement, aux jeunes-turcs et grands vizirs de toutes confessions, lesquels se verraient bien, et pas seulement quand ils se rasent, califes à la place du calife. Entre l'arbre et l'écorce gardons-nous de mettre le doigt et bornons-nous à remarquer que, sur le front de la langue, là où les frontières sont traditionnellement plus poreuses que celles de l'histoire, l'apport de la Turquie n'est plus à démontrer. On ne s'étonnera pas, naturellement, de l'origine ottomane de certains mots fortement typés. Avec hammam, on est tout de suite dans le bain. Il faudrait être culotté pour dénier au falzar ses racines turques. Quant au tcharchaf, il ne s'avance pas davantage voilé. Mais le yaourt, au goût tellement bulgare ? Mais la tulipe, depuis belle lurette délocalisée aux Pays-Bas ? Mais le caviar, que l'on croyait voué à la Russie, comme le noir l'est au rouge dans le roman de Stendhal ? Henriette Walter le souligne dans L'Aventure des mots français venus d'ailleurs (Robert Laffont) : « Non seulement les mots français venus du turc n'ont pas l'air turcs, mais certains d'entre eux font plutôt penser à d'autres langues étrangères. » Et la linguiste de citer colback, que l'on jurerait d'ascendance allemande ! Qui pourrait deviner, aujourd'hui, que c'est du sang turc qui circule dans les veines de la cravache, du gilet, du laiton et du sorbet ? Voire de la bergamote, à laquelle les Nancéiens avaient fini par trouver un air du pays ? Qui songerait que le mot hongrois lui-même doit plus aux Turcs qu'aux Magyars ? N'est-ce pas pour évoquer les flèches dont se servaient contre eux les seconds que les premiers forgèrent ce nom (ogur, dont dérive hongrois, signifie « flèche » en turc) ? Cela dit, il est deux choses que les gens d'Anatolie doivent par-dessus tout regretter de nous avoir léguées : les salamalecs — jadis perçus comme un « salut turc » —, que l'Europe leur fait depuis des années, et plus encore la casaque, qu'ils nous soupçonnent aujourd'hui... de vouloir tourner !