Aimez-vous « démocrate » ou « républicain » ?

Roméo, reviens ! Ils sont devenus fous !

< mardi 5 octobre 2004 >
Chronique

C'est la dernière trouvaille « made in U.S.A. » : au beau pays d'Oncle Sam, les célibataires en mal d'âme sœur sont invités, pour leurs petites annonces, à choisir leur camp, pardon ! leur site Web : « Conservativematch.com » pour les républicains, « Democraticsingles.net » pour les démocrates. Vous n'imaginez tout de même pas que l'on puisse décemment s'amouracher de quelqu'un qui pense mal ? Qu'un « éléphant » — emblème du parti républicain, faut-il ici le rappeler ? — en vienne à s'accoupler avec l'âne qui sert de totem aux démocrates ? Qu'on se le dise : ne peut là-bas s'assembler que ce qui se ressemble ! Gageons que les premiers n'hésitent pas à s'embrasser sur le Bush, quand les seconds se draguent d'un aguichant « Tu viens, Kerry ? ». Décidément, Shakespeare l'a échappé belle : à ce compte-là, jamais son Roméo ne fût tombé amoureux de sa Juliette, un Montaigu ne pouvant raisonnablement frayer avec une Capulet ! Et ne parlons pas de notre langue : que serait-il advenu si chaque forme était restée sagement dans le giron de sa famille ? Imaginez une grammaire qui ne connaîtrait aucun transfuge : où les noms en -ou feraient sans exception leur pluriel en -ous, et tant pis pour les cailloux, choux, genoux... qui ont tant fait pour la poésie de notre enfance ; où les verbes du premier groupe seraient les seuls à ne point prendre de s à la deuxième personne du singulier de l'impératif, au grand dam de ces francs-tireurs qui ont nom savoir, cueillir, souffrir, etc. ; où tous les substantifs employés comme adjectifs de couleur demeureraient invariables, n'en déplaise à écarlate, mauve, pourpre et... tutti quanti ! Une telle grammaire, dont n'osent pas même rêver les plus hardis de nos réformateurs, serait, convenons-en, plus satisfaisante pour l'esprit que ne l'est la nôtre. Plus facile à enseigner, aussi, et ce corollaire est tout sauf un détail. En serait-elle pour autant plus séduisante ? Il est permis d'en douter. Comme de douter que la réussite d'un mariage se mesure à l'aune de critères aussi objectifs. « Je ne pourrais pas concevoir de sortir avec quelqu'un qui n'est pas de mon bord », confesse cet internaute démocrate avant d'ajouter : « Les relations marchent mieux lorsque deux personnes partagent les mêmes valeurs ». Peut-être. Mais peut-être pas. C'est là la glorieuse incertitude de l'amour. C'est aussi, Dieu merci et jusqu'à preuve du contraire, celle de la langue.