En grammaire comme en politique,
il convient de s'en méfier...

Intelligente, la main ?

< mardi 23 mars 2004 >
Chronique

Plus d'un se demandait dimanche matin, dans l'entourage de Jean-Pierre Raffarin, si celui-ci ne s'était pas montré imprudent en louant il y a peu, par le biais d'une formule qui a aussitôt fait le tour du microcosme, « l'intelligence de la main »... Cette dernière ne menaçait-elle pas, muette comme métacarpe, de se refermer plus encore que de coutume sur une canne à pêche ? Et pour peu qu'elle consentît à jouer le jeu démocratique en déposant, du geste auguste du votant, son bulletin dans l'urne des régionales, ne serait-ce pas pour mettre la politique gouvernementale à l'index ? Pour offrir au Premier ministre son plus beau revers ? Pis : pour l'obliger à passer celle qu'il fait profession de tant admirer ? Le lecteur a, désormais, toutes les cartes en... main pour juger du bien-fondé de ces craintes. Mais il faut reconnaître que la politique n'est pas le seul domaine où ladite main affiche un comportement singulier. C'est à se demander si la grammaire n'a pas, de son côté, été rédigée au seul usage des manchots ! Qu'est-ce que cette affaire « prise en main  », que cette situation « tenue bien en main », quand le pluriel, d'ailleurs de règle dans l'expression « en bonnes mains », ne serait pas de trop pour rassurer les maladroits qu'il nous arrive d'être ? Que ce « serrement de main » alors que, objecteront certains, elles sont bien deux à se serrer avec vigueur ? Qu'est-ce encore que ce trait d'union baladeur, convoqué dans « prêter main-forte à quelqu'un » mais renvoyé à ses chères études dans « faire main basse sur quelque chose » ? Que ce baisemain que beaucoup, pour en faire régulièrement un nom composé, n'acceptent que du bout des lèvres ? Que ces raffinements qui nous contraignent à écrire « changer de main » lorsque l'on fait passer quelque chose de la dextre à la senestre (logique) mais « changer de mains » dès lors que, par exemple, une entreprise est rachetée (logique encore, mais on avait cru comprendre, quelques lignes plus haut, que quand une affaire était « prise en main », c'était au singulier !). De quoi désarçonner des candidats qui, s'étant hissés jusqu'à la finale des Dicos d'or à la force du poignet, connaissent pourtant leur langue sur le bout des doigts... Alors, intelligente, la main ? On ne sait plus trop ce qu'en pense M. Raffarin aujourd'hui. Pour notre part, et bien loin de nous essayer à justifier les bizarreries susdites, on se hâtera de... mettre les pouces !