Le verbe fait partie des dix mots sélectionnés
pour la 9e Semaine de la langue française...

Et si l'on cessait de « tataouiner » ?

< mardi 9 mars 2004 >
Chronique

Il ne nous appartient évidemment ni de confirmer ni d'infirmer qu'une guerre, comme le susurrent d'aucuns, soit actuellement menée contre l'intelligence. Ce qui est sûr en revanche (et l'hôte de la présente rubrique sera, vous vous en doutez, le dernier à s'en plaindre), c'est que la mode est aux mots. Il y a ceux — cent exactement — que Bernard Pivot s'est mis en tête de sauver dans un récent ouvrage publié par Albin Michel, et dont nous aurons à reparler. Il y a ceux, peut-être moins nombreux mais tout aussi... choisis, que le même Pivot a en ce moment avec Maurice Druon au sujet de la dernière dictée des Dicos d'or, un peu trop argotique au goût de l'ex-secrétaire perpétuel (l'Académie est sans doute le seul endroit sur cette terre où le renoncement à la perpétuité ne remette pas en cause votre immortalité). Enfin, il y a ces dix mots que le — plus périssable, hélas — ministère de la Culture nous donne, comme chaque année, en pâture pour que nous nous les appropriions du 13 au 20 mars, dans le cadre de la désormais traditionnelle « Semaine de la langue française et de la francophonie ». Une opération des plus sympathiques, et que nous encourageons de la maigre force de notre plume depuis sa création en 1996. Pour son sens de l'impertinence, d'abord : proposer en guise de mot inaugural amertume, au quasi-verso de la préface rédigée par un Jean-Jacques Aillagon tout tourneboulé encore par son expérience malheureuse des Césars, il fallait oser. Pour sa lucidité, aussi : ce n'est certes pas par hasard que le dernier mot de la liste est le canadianisme tataouiner, « discuter sans arrêt au lieu de prendre une décision, tourner autour du pot, hésiter ». Nul doute que l'on n'ait pris conscience, en haut lieu, que jouer avec les mots suffise rarement à les sauver. Si l'on veut que notre langue demeure, sur la scène internationale, autre chose qu'une distraction de manège (qui n'a entendu dire que la grande roue des Champs-Élysées continuait, pour le plus vif plaisir des autochtones, à parler français et à voir des tours Eiffel dans le ciel de Birmingham ?), il faudra, comme le préconise l'ancien secrétaire général de l'ONU Javier Pérez de Cuéllar, que la France s'engage « dans une lutte à outrance ». Or, force est d'avouer que, sur ce plan, et en dépit des bonnes intentions dûment affichées, nos gouvernements, de gauche comme de droite, ont tataouiné d'importance...