Le tutoiement sera-t-il mis au ban de l'école ?

Le retour du grand méchant vous

< mardi 21 octobre 2003 >
Chronique

Remise en cause de la mixité, retour à l'uniforme et même au vouvoiement... On dira ce que l'on voudra du tandem qui préside aux destinées de l'Éducation nationale : il ne néglige du moins aucune piste pour tenter de ramener un peu de sérénité au sein des cités scolaires ! Quand, à titre personnel, nous assisterions à ce qu'il faut bien appeler ces palinodies d'un œil amusé (le professeur que nous sommes est de ceux qui n'ont jamais cessé de vouvoyer leurs ouailles et Dieu sait que l'on ne s'est pas privé de le moquer pour cela), nous nous en voudrions de triompher dans un domaine qui ne s'accommode pas du simplisme : pas plus qu'il ne suffit de vouvoyer l'élève (pardon, l'apprenant !) pour le respecter, le tutoiement n'est à tout coup gage de proximité ni de cordialité. Tout cela, qui ne le sentirait, est au fond affaire d'éthique — nous allions dire de grammaire personnelle — et l'on serait bien inspiré, sur ce point comme sur nombre d'autres d'ailleurs, de laisser au maître le choix de ses outils. N'en déplaise à tous ceux qui s'échinent à en faire une science, fût-elle « de l'éducation », l'enseignement demeure un art qui, en tant que tel, justifie une pluralité d'approches. Bornons-nous donc à constater, dans ce qui reste notre pré carré, que l'orthographe elle-même renvoie tutoiement et vouvoiement dos à dos, exigeant de l'un comme de l'autre ce e intermédiaire rappelant qu'ils sont issus de verbes du premier groupe. Seules exceptions notoires, dont on s'étonne qu'elles ne soient pas plus systématiquement montrées du doigt par les ouvrages spécialisés : châtiment, qui descend pourtant de châtier ; agrément, lequel, au contraire de son faux jumeau gréement, renie allégrement ses origines (agréer) ; et, dans une moindre mesure — car l'idée d'ajout a depuis longtemps pris le pas sur celle de remplacement — de supplément, dont les lointains aïeux s'écrivaient souploiement et suppliement. Le plus surprenant, c'est que l'usager, loin d'oublier ce e muet (sauf peut-être dans rougeoiement, parce que trop, c'est trop), l'affectionne au point de l'imposer là où il n'a rien à faire. Dans blanchiment ou braiment, par exemple, alors que ceux-là, de toute évidence, ne dérivent pas de verbes du premier groupe ! Ou encore, et tout aussi incongrûment, au hasard de certains futurs (concluras, prévoiras). De quoi se faire alors... tutoyer pour de bon !