LE FIN MOT

Le charme discret de l'épanadiplose

Timbrés de l'orthographe n° 3
février 2013

Combien de fois ne me suis-je pas vu demander quel était mon mot préféré ? Grande est alors la tentation — le titre créant l'organe autant que la fonction — de sortir de votre chapeau un de ces vocables à coucher dehors avec un billet de logement, celui que vous n'avez pu rencontrer qu'au hasard de vos campagnes orthographiques et qui, fatalement, épatera le chaland. J'avoue avoir quelquefois succombé à ce coupable penchant, convoquant alors le phytophthora, ce champignon responsable du mildiou qu'a renoncé à recenser Larousse, ou encore le chænichthys, ce poisson osseux des mers du Sud que Robert snobe pour les mêmes raisons.

Aux antipodes de cet élitisme un brin condescendant, on peut être tenté, histoire de se faire pardonner son addiction aux dictionnaires, par un terme des plus banals, celui dont chacun, chaque jour, use sans y prêter attention. On surprendra alors le micro qui se tend, mais on le décevra du même coup : de quelqu'un qui a arpenté les dictionnaires de A à Z, on est en droit d'attendre autre chose que de l'amour ou de la tendresse. L'interlocuteur ne pipera mot, mais vous lirez le verdict sur ses traits : cucul la praline !

Dans le même esprit, il vous est encore loisible de jouer le fond contre la forme en misant sur un de ces mots qu'une Ségolène pourrait faire répéter à une salle en délire : fraternité, tolérance, voire paix — quoique ce dernier fût plus difficile à scander ! Ils produisent invariablement leur petit effet, et ont cet insigne avantage de vous poser en penseur à qui on ne la fait pas ; qui, à la paille des mots, préférera toujours le grain des choses.

Et puis, on l'aurait presque oublié tant cet univers de paillettes nous impose de sacrifier le vrai sur l'autel du rare, il reste l'option de la sincérité. Celle qui par exemple confesse, sans le moindre souci du qu'en-dira-t-on, que l'on voue un culte à ces monstres échappés du vivier de la rhétorique comme dinosaures de Jurassic Park ; à ces figures de style ânonnées sur les bancs du lycée et dont on n'a pas l'occasion, fût-on professeur de lettres, de se servir trois fois dans sa carrière. Je veux parler de l'homéotéleute, cette curieuse façon de faire se succéder des termes aux finales identiques (« Spectacle dantesque, gigantesque, burlesque, grand-guignolesque », écrivait ce bon San-Antonio) ; de l'anadiplose, reprise d'un élément qui termine un membre de phrase au début du suivant (« Mourir pour des idées, l'idée est excellente », chantait ce bon Brassens). Mais plus encore de l'épanadiplose, qui est au précédent ce que l'orgasme est au coït interrompu. Importe-t-il vraiment de savoir qu'il s'agit cette fois de répéter un même élément au début d'un membre de phrase et à la fin de celui qui suit (« Et rose elle a vécu ce que vivent les roses », pleurait ce bon Malherbe) ? L'essentiel n'est-il pas que ce mot déroule, grand seigneur, ses anneaux comme un serpent qui aurait renoncé à la connaissance ? Bornons-nous à le prononcer, à l'écouter : celui-là fait mieux que siffler sur nos têtes, il rampe dans nos cœurs...

 

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