LE FIN MOT

Roger, reviens ! Ils sont devenus crazy...

Timbrés de l'orthographe n° 13
novembre 2015

Nous connaissions déjà le turnover dont Laurent Blanc, l'entraîneur du PSG, se doit de jouer en virtuose pour ménager son effectif en vue des nombreuses batailles qui l'attendent sur les scènes hexagonale et européenne. Mais la Coupe du monde de rugby vient de nous apprendre que le bidule en question servait aussi à désigner, dans le petit monde de ce que nos pédagogues appellent sans rire le référentiel bondissant aléatoire, la perte de la balle. Naguère, on se bornait à remarquer que le ballon avait « changé de mains ». Trop simple. Trop plat. Trop français, donc trop plouc. Aujourd'hui, on comptabilise les turnovers. Ça vous a une autre gueule, non ?

Visiblement, il ne faut plus trop compter sur le rugby — sur ceux qui le commentent, en tout cas — pour reproduire l'effort, pourtant limité, dont a fait preuve le tennis au cours des dernières décennies. Là, la manche avait fini par triompher du set, le jeu décisif du tie-break. Juste retour des choses puisque, faut-il ici le rappeler, ledit tennis doit son nom au « tenetz ! » français, jadis lancé par le joueur de paume avant de servir. L'ovalie pourrait de même se réclamer de l'antique soule pour prendre ses distances avec l'environnement culturel anglo-saxon. Mais, pour un Chabal qui affirmait il y a peu qu'en France on avait à parler français ; pour un up-and-under qui est redevenu « chandelle » ; pour un maul auquel on substitue de temps à autre le plus accessible « ballon porté », voire la franchouillarde « cocotte », combien de concessions récentes aux vocables d'outre-Manche ?

Ma mémoire peut certes me trahir, mais je ne sache pas qu'à l'épique époque de Roger Couderc il ait été souvent question de rucks. Dans ce qui n'était encore que le Tournoi des cinq nations, les France-Galles d'alors n'avaient pourtant pas grand-chose à envier, en matière de féroces empoignades au sol, aux rencontres d'aujourd'hui. Mais on se contentait d'évoquer des « mêlées ouvertes » ou « spontanées ». On s'y piétinait tout aussi cordialement, mais le pied sentait encore bon le fromage français.

De même, on peut douter aujourd'hui que le flanker, en dehors de sa concision, apporte quoi que ce soit à notre « troisième ligne aile ». Ou encore que soit indispensable ce contest dont on nous rebat les oreilles au moins autant que la mêlée transforme en choux-fleurs celles des gros de devant. D'aucuns escomptent sans doute qu'il passera pour un mot français, au prix d'un « e » final. Mais ce dernier, pour exister dans notre langue, est du genre féminin, et il ne s'emploie plus guère que dans l'expression figée « sans conteste » : c'est dire que sont minces ses chances d'obtenir la double nationalité !

Le drame, c'est qu'on se demande si le remède ne serait pas pire que le mal. Car, quand le français reprend ses droits par la grâce d'anciennes gloires du jeu devenues consultants, c'est le parler du Midi et ses particularismes qui s'emparent du témoin, pour le meilleur du folklore mais pour le pire de la langue. Notamment quand le joueur « échappe le ballon » ou « tombe la balle », au mépris de toute distinction entre transitif et intransitif.

Faute de mieux, ne restera-t-il bientôt plus aux puristes qu'à se replonger dans les Essais du coach Montaigne ?

 

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