ON EN PARLE

D'un tombeau l'autre

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Numéro 526
février 2024

Il est des disparitions auxquelles on se résigne moins qu’on ne s’habitue. Ainsi celle de Claude Duneton, il y a plus de dix ans déjà. Pour reprendre le titre qui résume sans doute le mieux le terrien lettré qu’il était, nous demeurons à cet égard, et tous autant que nous sommes, des « truies qui doutent ».

Et de gloser, chacun sur le seuil de sa boutique, sur ce qu’il aurait dit, lui, l’auteur d’un ouvrage prémonitoire et glaçant sur la mort à venir du français, du sort que l’on réservait de plus en plus à « la langue de la République ». Gageons, sans grand risque de nous tromper, que le chroniqueur de langue du Figaro littéraire ne s’en serait pas laissé conter par les fastes récents de Villers-Cotterêts : de même qu’en politique il est de bon ton de créer une commission pour enterrer une affaire, il n’est que trop clair que l’on célèbre ici la grandeur du passé pour mieux faire oublier les renoncements du présent et les capitulations, prévisibles, de l’avenir. N’écartons pas davantage l’idée que l’Occitan qu’il était se fût dit, in petto, que le français l’avait au fond bien cherché, pour avoir, en son temps, contribué à étouffer les patois et donné dans un élitisme de classe qui ne pouvait qu’en faire, tôt ou tard, une langue… hors sol.

Mais il y a peu de chances pour que notre homme se fût complu longtemps dans ce trouble sentiment de revanche, lequel n’aurait pu lui apparaître que comme un combat d’arrière-garde. C’est qu’il savait se montrer pragmatique et chérissait trop une littérature qu’il avait lui-même illustrée pour nier ce que ladite langue, fût-elle artificielle et corsetée par une Académie qu’il ne portait pas dans son cœur, lui avait finalement apporté. Il est autrement probable qu’il eût souffert mille morts de la voir ainsi brisée par des vagues de réformes devenues simplistes à force de simplifications ; outragée, jusque sur son territoire, par un anglais arrogant et dominateur ; martyrisée par les idéologies de toutes sortes, uniquement soucieuses de lui faire payer, au nom de la sacro-sainte repentance, les avanies du passé.

Mais pourquoi invoquer aujourd’hui les mânes de celui qui restera sans nul doute, dans le cœur des lecteurs, comme le malicieux auteur de La Puce à l’oreille ? Tout simplement parce que, sous la houlette ô combien stimulante de Catherine Merle, Gisèle Joly et Pierre Chalmin, cent six de ses amis d’hier — qui le restent aujourd’hui — ont eu l’idée de l’arracher à son tombeau pour lui en élever un autre, littéraire celui-là : ce magnifique Claude Duneton façon puzzle, porté il y a peu sur les fonts des éditions Unicité.

Une panthéonisation du pauvre, grinceront peut-être quelques jaloux. À ceci près, aurait à coup sûr objecté Brassens en se souvenant de son Vieux Léon, qu’il fera toujours beaucoup moins froid entre les lignes d’un livre qu’entre les colonnes du Panthéon.