ON EN PARLE

Prière à sainte Litote

lire:
Numéro 507
mai 2022

Me revient souvent l'image de ma bouchère d'autrefois, interrogeant du regard sa Dayton-Testut, mains en suspens, de part et d'autre d'un calice imaginaire... La question qui s'ensuivait (« Il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? »), inévitable autant qu'inutile puisque la réponse était tenue pour une formalité, résonne encore à mes oreilles chaque fois que, dans les colonnes de la presse écrite ou aux étranges lucarnes, on en remet une louche quand une cuillère aurait suffi.

Les exemples sont, si l'on ose s'exprimer ainsi, « divers et variés ». C'est le maire d'une grande ville qui dénonce une situation éthiquement et moralement intenable. Un animateur soucieux de mettre les deux équipes sur un même pied d'égalité. Un footballeur qui, après maintes hésitations, choisit d'opter pour le PSG. Un sélectionneur qui déplore que l'un de ses joueurs soit dans l'incapacité de pouvoir être apte à jouer. Un commentateur qui trouve que le LOSC et Wolfsburg ont les mêmes similarités. Un consultant qui remarque que telle équipe s'est montrée supérieure dans les duels à un contre un. Une ancienne candidate à la présidence de la République qui vante sa sérénité très tranquille. Une page internet qui précise qu'il suffit seulement de venir avec sa carte Vitale. Un bandeau d'une chaîne d'information continue qui nous informe que « le pass sanitaire sera largement élargi » durant l'été. Un journaliste qui annonce sur RTL qu'un de ses confrères vient d'être interpellé en plein flagrant délit. Un autre qui, sur la même station, tresse des couronnes à l'enseignement spécialement dédié que dispense Acadomia. Le panonceau d'un hôtel qui rappelle : « Veuillez bien vouloir quitter les chambres avant 11 h 30 ».

Certaines redondances s'avancent davantage masquées. Pour apprécier à sa juste valeur cette estocade finale dont un quotidien sportif fait sa une, il faut se souvenir que ladite estocade est aujourd'hui perçue comme le coup d'épée porté par le matador pour achever le taureau, voire, au figuré, comme une attaque décisive : là comme ici, on pouvait aisément se passer du final. De même quand une journaliste du beau sexe rappelle avec raison qu'« il est déplacé de croire que le travail, l'investigation et le courage ne sont que des apanages masculins » : l'apanage se définissant comme un privilège, une exclusivité, la locution restrictive ne... que ne s'imposait pas.

Devant cette propension à considérer que, quand il y en a pour un, il y en a aussi pour deux, on en viendrait presque à se réjouir que, de temps à autre, l'inconséquence prenne le relais de l'évidence. Ce président du Real Madrid que l'on nous présente comme « quelqu'un qui arrive généralement toujours à ses fins » a beau confiner à l'absurdité, on serait tenté d'y applaudir tant il tranche sur la dictature du pléonasme ambiant !