ON EN PARLE

L'insulte, mode d'emploi

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Numéro 506
avril 2022

Au cours de cette campagne, les noms d'oiseaux auront volé bas : guignol, bon à rien, crétin sont venus jusqu'aux lèvres de personnalités que l'on eût crues davantage maîtresses d'elles-mêmes. Au demeurant, et quand cela ne consolerait qu'à moitié, on peut toujours se dire que ce n'est pas mieux ailleurs... et que ce fut même pis par le passé : les joutes oratoires étaient d'une tout autre violence il y a un siècle, notamment au sein d'une Assemblée nationale qui ne se formalisait pas outre mesure d'un argument ad hominem !

Là où nous n'avons guère progressé, en revanche, c'est dans la façon de rapporter ces agressions verbales : J.-L. MÉLENCHON INSULTE J.-M. BLANQUER DE « CRÉTIN », avons-nous lu sur un bandeau de CNews. Le Petit Robert est à cet égard formel : « La tournure insulter de (et n.) est incorrecte grammaticalement. » Et de fournir un exemple pour nous prouver que la chose ne s'en dit pas moins : « C'est pas la peine de nous insulter de pétasses » ! Le verbe insulter dit bien ce qu'il veut dire — il y a eu offense —, mais n'est pas fondé à préciser de quelle insulte il s'agit. Pour ce faire, il faudrait lui substituer traiter, un verbe au champ sémantique autrement vaste et vague, mais qui, lui (c'est sans doute ce qu'il convient d'appeler l'équilibre des pouvoirs), autorise le locuteur à se montrer plus explicite dans la foulée !

Ironie du sort, qui vient confirmer le côté réfractaire, pour ne pas dire franchement contrariant, des Gaulois que nous sommes : alors même qu'au mépris de la syntaxe nous faisons des pieds et des mains pour que le rayon d'action du verbe insulter s'élargisse, nous nous appliquons à déposséder traiter du complément qui faisait tout son prix. De la banlieue nous est en effet venue la coupable habitude de traiter quelqu'un tout court, bref, de... l'insulter ! Là encore, Robert renâcle, mais moins. Dans la phrase « Entendre la Mère crier Aïe ! Aïe ! ça me fait rire, parce que si c'était moi elle me traiterait, mais son petit docteur... », il veut voir une familiarité plus qu'une incorrection. Ce chassé-croisé n'en était pas moins inutile, sauf pour souligner combien nos habitudes langagières demeurent fragiles.

Il semblerait d'ailleurs qu'à son tour le verbe taxer voie son intégrité menacée : ne nous a-t-il pas semblé entendre que Gérald Darmanin s'était fait taxer de misogyne après le vif échange qu'il avait eu avec la journaliste Apolline de Malherbe ? L'Académie nous rappelle que, si le verbe traiter est bien suivi d'un adjectif (Harpagon se faisait traiter d'avare par ses gens), taxer, lui, doit précéder un nom, celui du défaut que l'on dénonce. Il sied donc de taxer Harpagon d'avarice et (si manque d'affinités avec lui) le ministre de l'Intérieur de misogynie.

Si au moins toutes ces subtilités pouvaient nous décourager de verser dans l'insulte !