ON EN PARLE

Vous avez dit visibilité ?

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Numéro 503
décembre 2021-janvier 2022

La chose n'est pas vraiment nouvelle, mais elle prend actuellement des proportions auxquelles les plus pessimistes ne s'attendaient guère. Nous voulons parler de l'invariabilité du participe passé, non seulement quand il est conjugué avec l'auxiliaire avoir et que le COD le précède (on est presque là dans le combat d'arrière-garde, voire dans le délit d'initié), mais aussi et surtout quand l'auxiliaire est être. Jusqu'ici, l'écueil n'en était pas un, ledit participe, dans ce cas précis, ressemblant à s'y méprendre à un adjectif qu'il a toujours été d'usage d'accorder avec le nom qu'il qualifiait.

L'auditeur attentif n'en sursaute que plus violemment aujourd'hui, quand aux étranges lucarnes (et jusque dans la bouche de personnes que l'on nous vend comme des « sachants ») il entend des choses telles que « les propositions qui ont été faits », « les décisions qui ont été pris », « les mesures qui ont été mis en place », etc. Hâtons-nous de préciser que la prononciation, dans le dernier exemple évoqué, est sans équivoque et que la liaison, quand elle permettrait souvent de balayer la poussière sous le tapis, est clairement snobée, ce qui ne fait qu'ajouter à l'incorrect du désagréable à l'oreille.

Notre première pierre sera pour le jardin des réformateurs, lesquels, pour mieux mener à dame leurs pions vengeurs, prennent d'ordinaire prétexte de la difficulté de notre langue. Reconnaissons avec honnêteté que l'argument n'est pas nécessairement faux, la langue française n'ayant pas sa pareille pour nous confronter à des situations pour le moins ambiguës, sur lesquelles les spécialistes eux-mêmes ne s'entendent pas toujours. On conviendra pourtant que nous nous trouvons ici à des années-lumière de ces cas de figure, et que rien ne devrait être plus naturel que d'accorder un participe avec le sujet du verbe ! La preuve, s'il en était encore besoin, que le mal est souvent moins dans la complexité de la règle que dans le peu de motivation à l'appliquer.

Notre seconde pierre sera pour le lopin du néoféminisme, toujours prompt à exiger que le « genre marqué » soit davantage pris en compte par notre grammaire, afin d'assurer au beau sexe la visibilité qui lui revient de droit. Curieusement, il ne nous a pas semblé l'entendre protester contre les manquements susdits. La cause, forcément juste, nous paraîtrait plus juste encore si, au-delà du combat mené sur les noms de métiers, fonctions et titres, au-delà des partis pris esthétiquement discutables de l'écriture inclusive, on veillait à ce que le féminin occupât toute la place que lui accorde la langue. En d'autres termes, avant de songer à créer, à des fins purement idéologiques, de nouvelles règles, commençons par respecter celles qui existent déjà, en affichant le féminin partout où le réclame une grammaire finalement moins machiste qu'on ne voudrait le faire croire.