ON EN PARLE

Tous des glottophobes !

lire:
Numéro 471
décembre 2018-janvier 2019

La saynète grand-guignolesque de Jean-Luc Mélenchon aura eu cette vertu : chacun a appris l'existence du mot glottophobie et, accessoirement, son sens. Il serait d'ailleurs surprenant que ce dernier n'eût pas droit, en mai prochain, à une entrée en fanfare chez Larousse et Robert. Promotion de leur produit millésimé oblige !

N'allons pas non plus surjouer l'étonnement. L'imagination des néologues en la matière est telle qu'il eût été pour le moins incongru que la glôtta (variante de glôssa, « langue ») se dérobât à leurs soins attentifs. Il y a bien un mot pour la peur d'avoir du beurre de cacahuètes collé au palais (arachibutyrophobie) et pour celle que nous inspirent les nains de jardin à brouette (nanopabulophobie) !

Qu'il faille une loi pour punir celui par qui le scandale est arrivé, comme l'a suggéré (mais peut-être pour rire) une députée LREM, c'est moins sûr. D'abord parce que les sondages s'en sont chargés, via la chute de popularité sans appel du trublion. Ensuite parce que nous risquerions d'être nombreux à tomber, pour peu qu'elle vînt à être votée, sous le coup de ladite loi. Moi-même, j'avoue que je ne me sens pas blanc !

Non que j'aie jamais été tenté d'humilier mon prochain sur la seule foi de son accent : quand le Flamand que je suis ne se reconnaîtrait en rien dans le parler que Dany Boon a rendu célèbre, il m'étonnerait que je fusse moi-même sorti indemne de la marmite chti dans laquelle je suis tombé quand j'étais petit ! Mais la définition — un tantinet laborieuse — du bidule (« discrimination qui est basée sur le langage ou certaines langues, qui fonctionne par un mécanisme qui consiste à rejeter, à considérer comme inférieures et à traiter certaines personnes différemment par rapport aux autres pour des motifs arbitraires et injustes, en raison de leur langue maternelle ou leur manière de parler une autre langue à un moment donné, de leur langage — vocabulaire, grammaire, accent… —, et à se sentir mieux que ces personnes ») ratisse tellement large... Fermez le ban, et songez à agrandir le banc des accusés !

Il est au moins un point qui me permettrait de porter plainte : c'est ce regard — blessant à force d'être compatissant — que l'on me lance dès lors que je ne me résous pas à jeter mes mots et tournures de toujours aux pieds de l'envahisseur anglo-saxon. Combien de chercheurs se sont ainsi vus contraints de passer sous les fourches caudines de l'anglais pour voir leurs travaux publiés ! Et je ne parle pas du snobisme ordinaire qui, dans la vie courante, frappe de ringardise tout ce qui ne jacte pas comme Albion...

Mais mes velléités procédurières s'éteindraient aussi vite : je me serais souvenu dans l'intervalle que ce français qui souffre désormais mille morts est celui-là même qui, jadis, étouffa dans l'œuf quantité de patois pour mieux asseoir son autorité. Et ne me disculpez pas trop vite en arguant que je ne saurais être tenu responsable des excès qui m'ont précédé : qui vous dit que je suis le dernier, aujourd'hui encore, à m'étonner que nos toponymes soient, sur les voies de la République une et indivisible, traduits en breton ou en basque ? que, pour des raisons moins poétiques que commerciales, les particularismes linguistiques colonisent nos dictionnaires ? que le second LF de la DGLFLF (Délégation générale à la langue française et aux langues de France) mange la laine sur le dos du premier ?

Pis que tout cela : s'efforçât-il de le faire avec indulgence et humour, un chroniqueur de langue est-il vraiment fondé à prôner tel tour aux dépens de tel autre ? C'est que l'on est toujours, au fond, le glottophobe de quelqu'un. Ne siérait-il pas bien plutôt au laxisme ambiant de laisser chacun parler à sa guise ?