ON EN PARLE

La confusion des genres

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Numéro 461
décembre 2017-janvier 2018

Avec la déclaration de l'Académie française du 26 octobre dernier sur l'écriture inclusive désignée comme « un péril mortel », la France vient de renouer avec un de ces psychodrames dont elle raffole et qui font d'elle, à la surface du globe, une franche exception : le débat linguistique. On se souvient qu'en 1990, alors que faisait rage le conflit en Irak, nos compatriotes préféraient se passionner pour la « guerre du nénufar », du nom de cette plante dont d'aucuns entendaient simplifier la graphie. Derrière ce détail, qui était d'ailleurs loin d'être le plus contestable dans les « Rectifications » suggérées par le Conseil supérieur de la langue française, la volonté de simplifier une langue soupçonnée de vouloir « distinguer les gens de lettres d'avec les Ignorans et les simples femmes » (dixit l'Académie française dans sa déclaration de principe du 8 mai 1673). Cette fois, il est moins question d'élitisme que de machisme, notre idiome étant censé reproduire les préjugés d'une société qui, Molière s'en fait l'écho dans son École des femmes, plaçait la toute-puissance du côté de la barbe !

Cible privilégiée des féministes et des partisans de ladite « écriture inclusive », la sacro-sainte règle selon laquelle « le masculin l'emporte sur le féminin ». Que la formule soit malheureuse, nul aujourd'hui n'en disconvient. Qu'elle ait, par le passé, véhiculé des a priori sexistes n'est guère plus douteux dès lors qu'on lit, en 1767, sous la plume du grammairien Nicolas Beauzée, que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » ! Que la langue et l'apprentissage de celle-ci puissent influer, de façon subliminale, sur l'estime que la femme se porte et conditionnent ses ambitions dans la société d'aujourd'hui n'est pas moins plausible... quand on ne manquerait pas d'exemples de langues syntaxiquement moins discriminantes que le français, dans des régions du monde où la condition féminine est loin d'être enviable pour autant ! Reste que, comme souvent, la polémique tourne au dialogue de sourds.

À notre gauche, nous l'avons dit, des féministes qui sont prêt·e·s (comme ils ou elles écrivent) à jeter le bébé avec l'eau du bain, sous prétexte que leur cause est juste. Peu leur chaut (désolé, pas moyen de faire ressortir le sexe des uns et des autres par le biais de ce pronom) que la langue en pâtisse, elle n'aura que ce qu'elle mérite pour avoir contribué, depuis des siècles, à asservir un sexe jugé faible. Ne sied-il pas de purger notre discours de ses compromissions passées ? Mais, à cette aune, pourquoi ne pas raser aussi nos châteaux de la Loire, honteux vestiges d'un passé absolutiste ?

À notre droite, ceux pour qui ladite langue sera toujours plus qu'un simple moyen. Nos académiciens, certes, qui, parce qu'ils lui doivent épée et bicorne, se sont ingéniés — en pure perte — à rappeler que ce masculin-là était en réalité un neutre. Mais aussi beaucoup d'autres, sexes confondus, qui considèrent que ce jeu dangereux n'en vaut pas la chandelle et qu'un français déjà mal en point y perdra plus que la femme n'y pourra jamais gagner. C'est le ministre de l'Éducation nationale, qui s'avoue peu enclin à compliquer encore une grammaire déjà difficile. C'est Bernard Pivot, qui ne voit là que « bricolage » susceptible de nuire à l'esthétique de la langue.

D'autant que ces dames risquent d'abandonner sur le terrain de la courtoisie ce qu'elles récupèrent en visibilité. Jusqu'ici, et en vertu de cette règle d'accord que certaines d'entre elles vouent aux gémonies, elles se voyaient galamment mises au premier plan : « Françaises et Français », « travailleuses, travailleurs ». Or, si l'on s'en remet à l'accord de proximité, il faudra désormais, pour que le féminin ressorte, qu'il ferme la marche : « ceux et celles qui se sont insurgées... ». Preuve que rien n'est simple, et que, sur la piste de la langue, un pas en avant s'accompagne souvent de deux en arrière...