À la mémoire de Raymond Devos

Le mot de la fin

15 juin 2006

Raymond Devos vient de trouver la mort. On l'entend d'ici nous expliquer qu'il ne l'avait pourtant pas cherchée.

Comment, à tout le moins, l'aura-t-il trouvée ? Belle, on l'ose croire. Le paradis des mots est forcément pavé de bonnes expressions. Et combien réjouissante la perspective d'y retrouver Rabelais, Queneau, Perec et les autres ! Gageons qu'à cette heure il s'amuse de nous voir, à notre tour, à l'article de la mort, occupés, pour lui rendre l'hommage qu'il mérite, à assembler laborieusement ces vocables dont il se joua comme nul autre avant lui.

Car s'il est vrai que le Verbe, c'est Dieu, celui-là, n'en doutons pas, est immortel, quand il ne serait pas passé par la case Académie...

Chacun le sent néanmoins : dans un monde sans Devos, l'action promet moins encore qu'hier d'être la sœur du rêve. Combien sommes-nous aujourd'hui à douter que le bougre ait pu livrer là son dernier mot ?

Sûr que s'il avait demandé l'avis du public...

 

 

Quand il est mort le poète,
ses amis les mots pleuraient...

25 juin 2006

Ce matin, le petit motard a le casque : Raymond Devos, pour de bon cette fois, a vu le bout du tunnel. À quoi servirait de répéter après lui que ça n'a pas de sens ? Que, de son propre aveu, « l'artiste qui disparaît dans les flots a vocation à réapparaître aussi sec » ?... Les faits sont têtus et les mots orphelins. Rien d'autre à faire ici que d'emboîter leur pas funèbre et, au cœur du convoi, de recueillir leur plainte. « On a beau savoir que notre vie ne tient qu'à un fil, ça me l'a pour ainsi dire coupé d'apprendre ça », souffle le montreur de marionnettes au chômage. « C'est vrai, concède l'auto-stoppeur professionnel, je n'aurais jamais pensé qu'il pût mettre les pouces aussi tôt ! » « C'est bien simple, leur fait... écot le possédé du percepteur : pour qu'il ressuscite, je suis prêt à payer. Rarement impôt sur le revenu m'aura paru plus légitime ! » Dans le sillage de la deux bœufs qui tient lieu de corbillard — pour gagner l'éternité, on n'est jamais trop à labour — se presse, hagarde, la foule de ces humbles qu'il a un jour ou l'autre croqués : le guide semble perdu, la péripatéticienne dans une mauvaise passe. L'entrepreneur de béton armé, un type à la coule pourtant, est effondré. Le taxi de la Marne, aux opinions si tranchées d'ordinaire, n'a plus l'air dans la course. Mais il n'y a pas que les humains pour se lamenter. Sur le parcours, pour rendre hommage au défunt, les parcmètres ont revêtu leur costume trois-pièces. En marge du cortège, un toutou remâche sa nostalgie : « C'est grâce à lui si je suis devenu quelqu'un. Je sais bien que les décorations ne sont pas faites par les chiens mais moi, plutôt que Légion ou Arts et Lettres, c'est le cordon du Poil que je lui aurais décerné ! »

Seul dans sa bière, le clown se prépare pour son ultime récital. Son visage exprime une étonnante sérénité. N'est-il pas aux anges, désormais ? Dame ! c'est que les planches, ça le connaît ! Et ce ne sont pas quelques malheureux vers qui vont effrayer un poète... Déjà les clous qui tout à l'heure ont clos le cercueil — cela ne se fait pas de traverser une ville à tombeau ouvert — se tordent. Déjà le bois se gondole. Pour ce sapin-là, dorénavant, ce sera tous les jours Noël !