L'empire de l'essence

(Nivelles, 2000)

Se trouvera-t-il sous peu un poète pour chanter tes louanges, ô élixir des temps modernes, qui règnes plus que jamais sur un univers en proie à la bougeotte ? Que tu viennes à te raréfier, et tout le monde est à côté de ses pompes. Que le prix de ton baril, quels qu'en soient les pourquoi bidon, avoisine les cimes, et ce sont nos porte-monnaie qui côtoient dangereusement l'abîme. Que les taxes qui t'alourdissent soient soudain perçues comme indues, et c'est la société tout entière qui entre en ébullition. Ne l'a-t-on pas constaté il y a quelque trois mois, quand, boycottant les stations-service, tu mis le feu à notre vieille Europe ?

Si l'ire était le lot de tous (au grand dam de nos gouvernants, selon qui l'on ne saurait bafouer l'électeur, fût-ce pour un naphte), c'est chez les mariniers, les conducteurs de poids lourds et, bien sûr, dans la gent paysanne que la jacquerie connut son acmé. Il faut dire — sauf le respect de ces bonnes gens, comme toi raffinés, qu'attire céans la passion de l'orthographe — que leurs maries-salopes, leurs tractopelles et leurs gros-culs, dès lors qu'ils sont alignés en rang d'oignons, sèment un autre bren que nos chiottes exiguës, dût-il s'agir de vans, de breaks, voire de monospaces réputés pour le volume de leur habitacle !

Cela dit, ne pavoise pas. Si la mode, par ici, ne sera jamais aux rickshaws extrême-orientaux, pas plus qu'à ces filanzanes sous lesquels tant de porteurs se sont cassé les reins ; si l'on n'est pas près de revenir aux télégas surannées de la Russie tsariste ; si les malles-poste, les limonières et autres tapeculs sont définitivement derrière nous, les pouvoirs que tu t'es arrogés n'ont rien d'éternel. Déjà tes diktats laissent de marbre ceux qui, sensibles aux anathèmes réitérés des docteurs en molysmologie, prônent un retour à la trottinette. Et voilà que se profile — place aux ohms ! — la voiture électrique, branchée entre toutes : il ne te restera bientôt plus qu'à faire, à ton tour, de la résistance...

 

TESTS

Et vous, à quoi carburez-vous ? Au gazole ou au benzol ? Au paracétamol ou au pomerol ? Aux ravioles ou aux girolles ? Au maul ou au drop-goal ? Au crawl ou au punching-ball ? À la viole ou à la diaule ? À la barcarolle ou au spiritual ? À la gloriole ou à la gaudriole ? Allez ! on espère que vous aurez du bol... et que vous ne répondrez pas de traviole !

À quelque weltanschauung que les philosophes se réfèrent, pas un qui ne se soit gâché l'existence avec ladite essence : des Éléates aux zététiques — plus connus sous le nom de pyrrhoniens —, des holistes aux gestaltistes en passant par les prosélytes de l'empiriocriticisme, tous s'y sont collés. N'est-ce pas Averroès, Helvétius, Destutt de Tracy, Kierkegaard, Lévy-Bruhl, Durkheim, Brunschvicg, Teilhard de Chardin, Heidegger ?