À la fortune du mot

< mardi 3 juin 2003 >
Courrier

La crise actuelle y serait-elle pour quelque chose ? M.O., de Pont-à-Marcq, nous avoue sa perplexité devant l'habitude de nommer « jaune » un non-gréviste. C'est que le jaune — nous citons là le Grand Robert — est considéré, « depuis des temps très anciens et pour des raisons obscures, comme la couleur de l'infamie, du déshonneur ». Dans son Dico des mots de la couleur (Seuil), Colette Guillemard se montre un peu plus... nuancée, en reconnaissant au jaune deux valeurs symboliques contradictoires : la richesse (c'est, rappelle-t-elle, la couleur de l'or, des épis mûrs) et la traîtrise. Ne dit-on pas d'un mari trompé qu'il est peint en jaune ? N'était-ce pas aussi la couleur des fourbes Judas et Ganelon dans les chansons de geste ? N'en repeignait-on pas, au Moyen Âge, la maison des faux-monnayeurs ? Si l'on en croit Colette Guillemard, Goethe lui-même aurait, dans son Traité des couleurs, risqué une explication : « Si le jaune est fixé sur un tissu de soie, sur un mur bien éclairé, ou s'il émane d'un ciel pur où brille un soleil éclatant, il évoque l'or, l'opulence. Mais dès qu'il prend appui sur un support moins noble, comme une toile grossière ou du feutre, il devient " jaune sale " » ! Cela dit, et pour revenir à la question de notre lecteur, il y a une raison plus précise pour que le briseur de grève (encore appelé renard) soit traité de « jaune » par ses pairs. Avaient été créés en 1899, pour collaborer avec les classes dirigeantes et tailler des croupières aux organisations ouvrières, réputées « rouges », des syndicats que l'on nommait « jaunes » parce que leur emblème était constitué d'un gland de cette couleur et d'un genêt. On ne tarda pas à substantiver l'adjectif et à qualifier de même ceux qui, en se désolidarisant de leurs camarades, trahissaient la cause des travailleurs...