Rassurez-vous, bonnes gens,
tout est « sous contrôle » !

< dimanche 21 mars 2021 >
Chronique

Avez-vous remarqué, sur ces plateaux de télévision où triomphe ce qu'on appelle en français d'aujourd'hui le « talk-show », que l'on parle de plus en plus souvent « sous le contrôle de » tel ou tel ?

Nul besoin d'avoir fait des études de psychologie pour émettre quelques hypothèses sur les raisons d'être de cette nouvelle mode ! La plus évidente, la plus rassurante aussi, consisterait à voir là l'expression d'une humilité sincère : la connaissance se spécialisant de plus en plus, on prend conscience que l'on ne sait pas tout, infiniment moins, en tout cas, que le ponte qui a été invité à la même table que vous. Nous entendons d'ici le lecteur nous répondre que, la nature humaine étant ce qu'elle est, cette piste n'est probablement pas la plus crédible... Mais on peut toujours rêver, non ?

Autre possibilité, plus conforme à la conception que Blaise Pascal se faisait, dans ses célèbres Pensées, de la « misère de l'homme sans Dieu » : il s'agirait seulement de ménager ses arrières, pour le cas où l'on dirait des sottises ! Certes, il y a belle lurette que le téléspectateur est vacciné (il n'aura pas même eu à attendre la bonne volonté de Pfizer ou d'AstraZeneca), mais ça ne mange pas de pain ! Et puis, c'est bien connu : faute annoncée est à moitié pardonnée...

Le pis réside sans aucun doute dans la troisième : la manœuvre n'aurait d'autre but que de s'attirer les bonnes grâces de celui ou celle que l'on caresse ainsi dans le sens du poil, en même temps que, mine de rien, on se hisse symboliquement à son niveau. Modestie plus fausse que vraie, par conséquent, et force est d'imaginer, pour connaître un peu l'homme et beaucoup l'intervenant des plateaux de télévision, que la balance penche plutôt de ce côté.

Le chroniqueur de langue se consolera en constatant que, du moins, le sens de contrôle est là conforme à la tradition de la langue française : il renvoie bien à une « vérification », à une « surveillance ». Rien à voir avec la « maîtrise », la « domination » encore moins, qui constitueraient des anglicismes déguisés (que l'on songe au self-control !). Le grammairien Jean Girodet ne s'étranglait-il pas naguère devant des tours comme « Il faut savoir contrôler ses impulsions », « Ce joueur contrôle bien la balle » ou « Le gouvernement contrôle la situation » ? Il est vrai que l'Académie elle-même ne pipe plus mot là-dessus.

Plus rien n'est sous contrôle, en fait...