Après « Grey's Anatomy »,
l'anatomie de « Gré » :
un feuilleton, ça aussi !

< dimanche 17 janvier 2021 >
Chronique

Il ne paie pas de mine, avec ses trois lettres, mais n'en empoisonne pas moins l'existence de l'usager de la langue : le drôle a tôt fait de nous pousser aux pires impairs, à l'insu de... notre plein gré, bien sûr.

Au reste, ce sont probablement cette petite taille et ce côté mal fini qui en incitent plus d'un à lui donner un coup de pouce sous la forme d'un « s » final, au risque de lui voir prendre un faux air de roche sédimentaire. La préposition malgré, qui en est un produit dérivé, n'est d'ailleurs pas la dernière à subir, dans cette histoire, des dommages collatéraux : elle aussi se voit souvent remodeler l'arrière sous prétexte que ledit « s » lui va bien au... train !

Non content de poser des problèmes par lui-même, le bougre est de surcroît contagieux, surtout au sein de l'expression qui fait les beaux jours de la politesse, épistolaire ou autre : « Je vous saurais gré de... ». Pour la circonstance, c'est en effet son voisin qui trinque, la forme saurais se faisant fréquemment damer le pion — sur la foi d'une écoute approximative et distraite — par un « serais » sans grand sens. Il n'a pourtant jamais été question d'être gré à qui que ce soit, mais bel et bien de savoir gré du service que l'on nous rend !

Un lecteur se demandait, il y a peu, s'il était possible de rencontrer ce tour à d'autres temps que le présent du conditionnel. Plus précisément, est-on fondé à écrire « Je vous saurai gré » ? La réponse est oui. Certes, la chose est plus rare, le conditionnel ayant, sur le terrain de la politesse, une autre réputation que le futur simple : il atténue la demande et lui confère un aspect moins impérieux. Il est pourtant des cas où ce futur recouvre sa légitimité. Si, au volant de votre voiture, vous avouez au policier qui vous a fait signe de vous arrêter que vous n'avez pas votre permis de conduire sur vous, il est peu probable que ce dernier se fende d'un conditionnel. Plutôt que pour « Je vous saurais gré de bien vouloir vous rendre au commissariat le plus tôt possible afin d'y présenter vos papiers », il est à craindre qu'il n'opte pour « Je vous saurai gré », montrant bien, dans ce cas, qu'il s'agit moins d'une suggestion que d'un ordre.

Et pour peu que le contrevenant ne perçût pas la nuance, la prononciation négligée d'aujourd'hui ne la soulignant plus guère, le ton employé par le représentant de l'ordre suffirait à la lui faire saisir !