Scènes de genre (4)

Souvent femme varie...

< mardi 10 mars 1998 >
Chronique

« S'en remettre à l'usage » : c'est à cette panacée que finissent toujours par recourir l'une et l'autre partie dès qu'une controverse linguistique s'éternise. Mais que dit l'usage ? Nous avons interrogé ces baromètres de la langue française contemporaine que sont le Petit Larousse et le Petit Robert. En est-il un, d'abord, qui soit plus hardi que l'autre sur ce chapitre de la féminisation ? Difficile de trancher. Certes, la corde semble être tenue par Larousse quand il accueille accordeuse de piano là où Robert met la pédale douce et se contente d'accordeur ; quand il ouvre ses frontières à la douanière alors que, de l'autre côté de la barrière, on n'a à déclarer que des douaniers ; quand il fait de jockey un nom des deux genres tandis que son concurrent répugne visiblement à suivre le même régime ! Mais Robert se remet en selle en reconnaissant carreleuse quand la maison d'en face n'y voit... que dalle ; en ouvrant ses colonnes à menuisière bien que Larousse lui fasse visage de bois ; en apportant sa contribution à l'avènement de perceptrice sans pour autant en imposer à son éternel rival, lequel se montre sur ce point dur de la feuille... Il est vrai que si, par extraordinaire, nos frères ennemis tombent d'accord, la cohérence n'en sort pas forcément grandie. Pourquoi peut-on parler de cordonnières sans craindre de commettre un cuir alors que le bottier n'a pas, jusqu'ici, trouvé chaussure à son pied ? Par quel effet du hasard l'avocate est-elle désormais bien en cour alors que l'avouée se trouve condamnée sans appel ? Quel malus vient pénaliser l'assureur pour qu'il se voie privé de féminin quand on ne s'étonne plus de croiser des confiseuses, des entrepreneuses, voire, chez Robert, des camionneuses et des débardeuses ? Et que dire d'une langue qui, pour n'avoir fait qu'une bouchée des chocolatières, joue les fines bouches devant les biscuitières... sinon que ce n'est pas du gâteau ? Force est de constater que l'usage nous déconcerte plus qu'il ne nous renseigne, et que ce n'est pas à ce saint-là qu'il conviendra de se vouer à l'heure de refermer enfin ce volumineux dossier, dans quelque quinze jours...