Participe passé (3) : ce qu'on évite soigneusement de vous dire

< dimanche 7 octobre 2018 >
Chronique

À entendre nos réformateurs, le sens n'aurait aucunement à souffrir de la mise au placard d'une règle qui, non seulement ne repose sur rien, mais de surcroît ne sert à rien ! C'est là que le bât commence à blesser.

Évidemment, tant que l'on s'en tient à l'exemple d'un complément d'objet direct clairement identifiable, peu importe que l'on décide d'écrire « la règle que j'ai supprimé » ou « la règle que j'ai supprimée ». En revanche, l'invariabilité systématique avec l'auxiliaire avoir obligerait à toujours écrire « on les a envoyé chercher » là où la syntaxe traditionnelle distinguait entre « Les enfants ont égaré leur pelle, on les a envoyés chercher sur la plage » et « Mamie voudrait embrasser les enfants, on les a envoyé chercher sur la plage ». Dans le premier cas, l'accord du participe passé se fait parce qu'il a bien pour COD le pronom les, qui représente les enfants (on a envoyé les enfants faire des recherches), dans le second, le participe reste invariable puisque les est COD de l'infinitif (on a envoyé quelqu'un chercher les enfants).

Une même orthographe pour deux situations diamétralement opposées (là les enfants cherchent, ici on les cherche), est-ce vraiment le progrès que l'on nous promettait ?

Bien sûr, nous entendons d'ici les linguistes nous expliquer qu'à l'oral la différence n'est pas audible et que nul ne s'en plaint. Mais, justement, n'est-il pas du devoir de la langue écrite de se faire plus précise, moins équivoque ? D'un écrit qui est supposé rester, n'est-on pas en droit d'attendre plus que d'une parole réputée s'envoler ? Quand l'oral, qui sait pouvoir se rattraper sur le contexte, ne nous oblige que trop souvent à faire ceinture, l'écrit ne se doit-il pas, lui, de nous fournir ceinture et bretelles ?

De la même façon, n'importe quel vieillard cacochyme pourra désormais se rêver en Usain Bolt. Jusqu'ici, « les cent mètres qu'il avait couru suffisaient à l'essouffler ». On n'accordait pas le participe passé, puisque les cent mètres qui le précédaient étaient moins un COD (il n'avait pas couru quoi ?) qu'un complément de mesure (il avait couru combien ?). Aucun risque de confondre avec « les cent mètres qu'avait courus un sportif » s'entraînant pour les Jeux ! Accord cette fois, ne s'agissant plus de la distance mais d'une course codifiée.

Encore un distinguo que la proposition belge sacrifierait, si par malheur elle devenait la règle. Las ! il en est beaucoup d'autres...