Entre taulardes et tôlardes,
de surpopulation carcérale
en surpopulation lexicale...

< dimanche 2 octobre 2016 >
Chronique

De même que nos maisons d'arrêt regorgent de prisonniers, nos dictionnaires croulent sous le poids des variantes orthographiques. Pouvait-on rêver plus belle occasion de le souligner que le film où triomphe en ce moment Sophie Marceau ?

La taularde dont nous parle l'affiche aurait en effet aussi bien pu s'écrire tôlarde. Rien de surprenant à cela, puisque depuis deux siècles taule et tôle se sont disputé l'honneur douteux d'évoquer, dans le langage familier, un logement, une chambre, puis une prison. Cette lente descente aux enfers, qui flirta même, à la fin du XIXe siècle, avec la maison de prostitution, s'explique sans doute par certains emplois dialectaux tels que taulat, lequel s'appliquait en provençal à une... porcherie !

Cet œcuménisme orthographique concerne tout autant le voisin taulier, qui peut également s'écrire tôlier. Celui-là est encore vivace quand il s'agit de désigner le propriétaire des lieux, et, par extension, le patron. Combien de fois Nikos Aliagas n'aura-t-il pas, au doux temps de la Star Academy, appelé de la sorte le grand, l'immense, le seul Johnny ?

Mais ce n'est là qu'un exemple au sein d'un lexique qui accueille avec la même bienveillance acuponcture et acupuncture, ailloli et aïoli, bagou et bagout, baluchon et balluchon, bistro et bistrot, bombonne et bonbonne, cacahouète et cacahuète, canette et cannette, daurade et dorade, hululement et ululement, lis et lys, paie et paye, pic-vert et pivert, rapeur et rappeur, rancard, rancart et rencard, saoul et soûl, shampoing et shampooing, tartufe et tartuffe, tsar et tzar, tsigane et tzigane, etc. Et l'on ne vous parle pas de certains vocables qui présentent jusqu'à quatre ou cinq versions différentes !

La réforme de 1990, qui avait fait de la suppression de ces variantes sa principale raison d'être, a certes abordé le problème de front. Mais, en corrigeant certains mots tout en laissant à chacun le droit de continuer à user de la forme traditionnelle, elle a pris le risque d'aggraver la situation pendant plusieurs décennies : bonhommie, boursoufflure, cahutte, charriot, dentelière, exéma, imbécilité, ognon, persifflage, relai vont désormais cohabiter, et pour longtemps, avec bonhomie, boursouflure, cahute, chariot, dentellière, eczéma, imbécillité, oignon, persiflage, relais. Si le bénéfice à long terme n'est rien moins qu'assuré, la confusion à court terme est certaine...