Portes rouvertes pour la réouverture

Une langue floue, floue, floue !

< mardi 17 juin 1997 >
Chronique

Cartésienne et toujours logique, la langue française ? Voire. Il suffit, pour en douter, de relever le paradoxe d'un palais des Beaux-Arts qui rouvre ses portes alors que l'on commençait à douter sérieusement de sa réouverture. Il s'agit certes là d'un cas limite, mais ô combien révélateur de l'embarras qu'éprouve notre langue dès lors qu'il lui faut exprimer la réitération. Tantôt, devant un verbe ayant pour initiale une voyelle ou un h muet, elle use du préfixe ré- (réabonner, réoccuper, réhabituer), tantôt elle se contente d'un r- (ravoir, rouvrir, rhabiller). Qui pis est, il n'est pas rare qu'elle ne choisisse pas et c'est ainsi que cohabitent au sein des dictionnaires, dans la plus pure tradition républicaine, réapprendre et rapprendre, réassortir et rassortir, réécrire et récrire, réemployer et remployer, réemprunter et remprunter, réengager et rengager, réessayer et ressayer... Bien sûr, de bonnes âmes se retranchent derrière des distinguos. Récrire, nous soufflent ces doctes, signifierait indifféremment « écrire une nouvelle fois » et « rédiger selon une nouvelle forme » alors que réécrire n'aurait cours que dans cette dernière acception. Ranimer et rajuster, renchérissent-ils, peuvent s'employer dans tous les sens tandis que leurs doubles réanimer et réajuster se cantonnent, l'un dans le service des urgences, l'autre dans les revalorisations de salaires : on ne saurait ni réanimer un feu ni réajuster sa cravate ! De même, raccompagner quelqu'un consisterait à le reconduire jusque chez lui, alors que le réaccompagner reviendrait à l'accompagner une nouvelle fois. Mais force est d'avouer que tout cela est cataplasme sur langue de bois, et que l'usager n'en tient pas plus compte que les dictionnaires usuels ! La règle est tout aussi floue lorsque le verbe commence par un s : le plus souvent, c'est au préfixe res- que l'on recourt (ressauter, ressemer, ressouder) ; mais on déplore des exceptions (resaler, resalir) et, là aussi, une cohabitation (ressurgir ou resurgir). Bref, la prudence s'impose : en voulant refaire, prenons garde à ne pas être nous-mêmes refaits !