« Connaître de quelque chose »,
tournure utilisée... à bon droit !

< dimanche 1er juin 2014 >
Chronique

Nombre de lecteurs attentifs se seront demandé pourquoi, dans la plupart des journaux, le propos — élogieux — de Nicolas Sarkozy sur le directeur adjoint de sa campagne de 2012, Jérôme Lavrilleux, comportait des crochets : « Voilà un homme qui a le talent de ne pas embêter les personnes pour qui il travaille avec des problèmes [qu']elles n'ont pas à connaître... »

C'est tout simplement que, le jour où il avait personnellement remis à ce proche collaborateur les insignes de chevalier dans l'Ordre national du Mérite, l'ancien chef de l'État n'avait pas lui-même usé de « que », mais de « dont ». Lesdits crochets indiquent par conséquent que la citation, en dépit des guillemets, a été retouchée. Que l'on s'est fait un devoir de corriger, au passage, ce que l'on a pris pour une faute de syntaxe. Quelquefois, d'ailleurs, sans même prendre de gants : certains se sont passés des crochets, d'autres ont préféré conserver le « dont » original, mais, de façon fort peu discrète, l'ont fait suivre d'un (sic) qui soulignait à l'encre rouge le solécisme présumé.

Car en est-ce vraiment un ? Les antécédents linguistiques de l'ex-président de la République, certes, ne plaident pas en sa faveur et nous avons, de notre côté, suffisamment fustigé, naguère, ses dérapages grammaticaux pour ne pas venir jouer aujourd'hui les vierges effarouchées. Était-ce pourtant une raison pour le condamner sans l'entendre ni même consulter un ouvrage de référence ? Celui-là aurait révélé, à l'instar du Dictionnaire historique de la langue française, non seulement que la construction transitive indirecte a — sinon depuis toujours, du moins depuis plusieurs siècles — fait partie de l'histoire de ce verbe, mais encore que la langue juridique (est-il besoin de rappeler que Nicolas Sarkozy fut d'abord avocat ?) l'a toujours privilégiée. Chez ces gens-là, Monsieur, on est donc fondé à « connaître de quelque chose » ! Dans un sens, il est vrai, un peu différent de celui que nous... connaissons : « être compétent pour juger ». Mais qui pourrait affirmer que ce n'est pas là, justement, ce qu'entendait signifier l'intéressé ? Non des problèmes dont les personnes en question ne voulaient pas entendre parler (ce qui, soit dit en passant, n'ajouterait pas grand-chose à ce qu'il leur reste de gloire), mais qui, bien plutôt, n'étaient pas de leur ressort, n'entraient pas dans leurs compétences ? Il nous semble que cette seconde version, autrement modeste, était moins propre à ternir une image déjà passablement écornée...

En tout cas, nous aimerions être sûr que ceux qui, dans cette affaire, se sont improvisés censeurs, croyant déceler une faute de construction là où il n'y avait sans doute qu'un archaïsme de bon aloi, l'ont fait en connaissance... de cause (expression restée très vivace, elle, quand elle descendrait en droite ligne du tour juridique que nous avons évoqué). S'il est toujours désagréable, en effet, d'être pris en défaut, ce l'est plus encore quand on se sait dans son bon droit. Combien de fois ne se voit-on pas reprocher d'user de l'indicatif à la suite de la locution après que, alors que c'est la règle ? de refuser la marque du pluriel à l'adjectif de couleur orange bien qu'il soit invariable ? de n'avoir pas accordé, au début de ce paragraphe, l'adjectif sûr avec le sujet nous, même si ce dernier, dit de modestie, se rapporte à celui qui signe l'article, et à lui seul ? Bref, combien de fois a-t-on vérifié que mieux valait souvent se tromper avec tous que d'avoir raison tout seul ?

Fort heureusement, il y a gros à parier que Nicolas Sarkozy — pour peu qu'il se soit aperçu de la chose ! — ne s'en sera pas offusqué outre mesure. D'abord parce que, la fonction créant l'organe, il doit avoir le cuir infiniment plus résistant que le nôtre. Ensuite et surtout parce que les lettres, dans les semaines à venir, ont toutes les chances de lui attirer moins d'ennuis que les chiffres !