Trop salée, la note d'orthographe ?

< dimanche 20 avril 2014 >
Chronique

Libération, Le Parisien, Le Monde, lequel de nos confrères, pour ne parler ici que de la presse écrite, n'a pas consacré, ces quinze derniers jours, une de ses pages au nouveau barème de notation (dit « graduel ») de la dictée ? Plus juste, plus pédagogique, plus représentatif des compétences réelles de l'élève ! L'occasion ou jamais, a-t-on aussi entendu sur les ondes, d'en finir avec cette « orthographe punitive » qui a inutilement traumatisé des générations de potaches...

Loin de nous, bien sûr, l'intention de faire la fine bouche devant cette ultime trouvaille de nos docteurs des sciences de l'éducation, que le monde nous enviera bientôt. Après tout, et quand ledit barème serait appelé à servir peu puisque les dictées se sont considérablement espacées dans l'enseignement moderne, tout ce qui peut être fait pour ne point perturber nos chères têtes blondes doit l'être. Et ce, même si les « traumatismes » qu'en l'espèce subirait la nouvelle génération n'ont plus rien à voir, il s'en faut, avec ceux auxquels on s'exposait par le passé. Le « cinq fautes, zéro » n'est déjà plus qu'un lointain souvenir. Et, Dieu merci — car il n'est évidemment pas question de se montrer nostalgique d'un acharnement pédagogique qui confinait à la torture —, le temps n'est plus où une mauvaise note en dictée valait au responsable un coup de règle sur les doigts, voire un séjour prolongé devant le tableau noir, à genoux sur des billes préalablement disposées sur un plateau !

Mais sans doute le traumatisme est-il, de nos jours, d'autant plus insupportable que, de physique, il est devenu moral. Nous ne demandons qu'à le croire même si, au cours de notre déjà longue carrière, il nous a été rarement donné de le rencontrer. La découverte de sa faute provoque, chez l'« apprenant » d'aujourd'hui, souvent moins de pleurs que d'hilarité satisfaite, mais passons : le passionné d'orthographe que nous sommes, ancien traumatisé lui-même (ne s'est-il pas vu un jour retirer deux points parce qu'il avait eu l'outrecuidance d'aligner, en le gratifiant d'un accent circonflexe, le coteau sur la côte ?), chérit trop les exceptions pour ne pas prendre en compte celles qui confirmeraient la règle de l'insouciance actuelle.

Ne prêtons pas davantage l'oreille à ces aigris qui seraient tentés de faire remarquer que notre société, à laquelle l'école est censée préparer, donne elle-même dans le punitif plus souvent qu'à son tour. Et c'est vrai qu'à chacun de nous il arrive plus fréquemment de trouver dans sa boîte un P.-V. pour excès de vitesse qu'une lettre de félicitations pour toutes les autres fois où, au volant, on s'est montré exemplaire ! Mais passons derechef.

Ce qui pourrait davantage surprendre, c'est que l'annonce de ce barème révolutionnaire a suivi de peu la publication d'une enquête, laquelle établit que les fautes qui peuplent les messages électroniques échangés dans le monde professionnel ont des répercussions désastreuses sur la motivation de l'acheteur potentiel, au point de faire perdre chaque année des millions d'euros aux entreprises. Une note autrement salée, pour tout dire, que celle de l'institution scolaire ! Mais que voulez-vous, c'est ainsi : une négligence dans la communication est souvent interprétée comme un manque de sérieux... Partant, on se serait plutôt attendu que l'on s'attaquât sans plus tarder au mal : dès lors que le portefeuille est en péril, n'importe-t-il pas de réagir, et vite ?

Mais comme cela supposerait que l'on redonnât à l'apprentissage de notre langue, en termes de temps comme de détermination, la place qu'il n'aurait jamais dû perdre, nul ne s'étonnera que l'on préférât ratiociner sur la fiabilité du thermomètre !