Près du bonnet,
on ne sait plus où donner de la tête !

< dimanche 1er décembre 2013 >
Chronique

N'y allons pas par quatre chemins des Dames : le dernier Goncourt, qui a pour toile de fond la Grande Guerre, est un chef-d'œuvre. Chacune de ses pages est un bonheur. Voilà bien longtemps que l'envie de relire un livre ne nous avait pris avant même d'en avoir achevé la lecture !

Ça, c'est dit. Et il fallait le dire pour que personne ne se méprît sur nos intentions. D'autant plus loin de nous celle de chercher la petite bête que nous brûlons, au contraire, de complimenter l'éditeur, Albin Michel, pour ce qu'en bon français et du côté du LOSC d'Enyeama on appelle en ce moment une « clean sheet ». Rarement parcouru un livre aussi propre, aussi vierge de coquilles qu'Au revoir là-haut ! Certaines, bien sûr, ont pu nous échapper, dans l'enthousiasme d'une lecture qui emporte tout. Mais l'hypothèse résiste difficilement à l'examen : un polytraumatisé de l'orthographe, quand il succomberait ponctuellement aux charmes du pilotage automatique, ne perd jamais les commandes de vue. Fichue déformation professionnelle, d'ailleurs, qui vous empêche de vous abandonner à votre lecture, si passionnante soit-elle...

La preuve ? Ce seul et unique sujet d'interrogation, né au détour de la page 161, où l'auteur, Pierre Lemaitre, évoque en ces termes l'un de ses personnages : « Elle n'était pas bête, la tête près du bonnet, comme feu sa mère, femme de caractère, pas le genre à s'emporter, à céder à la tentation. »

La tête près du bonnet, mais, comme feu sa mère, pas le genre à s'emporter ? Curieux, quand tous les dictionnaires de France et de Navarre, de Larousse à Robert en passant hier par Furetière et Littré, croient justement déceler dans cette expression une fâcheuse propension... à s'emporter : « être irascible, soupe au lait », « se mettre facilement en colère », « se fâcher pour peu de chose ». Notre romancier aurait-il bien plutôt voulu dire qu'elle avait « la tête sur les épaules » (reconnaissons que, géographiquement parlant, cela ne change pas grand-chose !), voire « du plomb dans la tête » ? Voilà en tout cas des qualités qui eussent mieux convenu au portrait flatteur qu'il entendait visiblement brosser de son héroïne...

À la décharge de Pierre Lemaitre, force est d'avouer que cette métaphore, qui remonte au XVIe siècle, n'a rien de limpide. D'aucuns ont souhaité l'expliquer par le bonnet, orné de grelots, qu'au Moyen Âge portait le fou du roi : la colère ne s'apparente-t-elle pas à une folie passagère ? D'autres se sont raccrochés aux branches d'une locution voisine, « mettre son bonnet de travers », propre au quidam mal luné. D'autres encore ont souligné que le bonnet tenait les oreilles au chaud. Or, chacun sait que les oreilles échauffées sont l'apanage de celui qui se met en colère ! On le voit, plus de conjectures que d'explications réellement convaincantes. Et d'abord, à y bien réfléchir, peut-on avoir la tête ailleurs... qu'à proximité du bonnet ?

On comprendra que nombreux soient ceux, à l'instar de notre Prix Goncourt sans doute, qui préfèrent voir dans cette expression la marque d'un certain bon sens : si elle jouxte le bonnet, c'est que la tête est à sa place, en parfait état de marche... Certains avancent même une autre définition qui, pour n'être relayée par aucun dictionnaire, n'en est pas moins haute en couleur : « être près de ses sous » ! Les paysans de jadis ne glissaient-ils pas les billets qu'ils voulaient soustraire aux convoitises entre tête et casquette ? Penser à son couvre-chef, reviendrait, dès lors, à être obnubilé par son pécule...

Vous verrez qu'un jour, sur la foi d'un bonnet d'un autre genre, on fera de celui qui a la tête tout près... un obsédé sexuel ! Et que le premier à cautionner cette acception sera le Petit Robert !