La revanche des bons en orthographe

< dimanche 9 septembre 2012 >
Chronique

À chaque rentrée c'est la même chanson : les médias font leurs choux gras de ces polytraumatisés de l'orthographe dont la dictée, cette invention de sadique, aurait saccagé l'enfance. Hier, c'était François de Closets. Aujourd'hui ce sont Daniel Picouly (La faute d'orthographe est ma langue maternelle) et Anne-Marie Gaignard (La Revanche des nuls en orthographe).

Loin de nous l'intention de nier qu'il y ait eu, dans un passé qui tend à devenir lointain, des excès. Que d'aucuns aient mal vécu ce que savamment l'on nomme désormais leur « dysorthographie » n'est pas douteux. Que l'on n'ait pas toujours su trouver les méthodes ni les mots adéquats pour y remédier ne l'est pas davantage. Pour autant, il faut raison garder : les gueules cassées des mathématiques sont elles aussi légion, et il n'apparaît pas que l'on s'apitoie aussi assidûment sur leur sort ! Il y aurait pourtant lieu de le faire : à tous ceux qui, depuis des décennies, se sont vu interdire l'accès aux filières d'excellence, était-ce la bosse des maths qui faisait le plus cruellement défaut, ou celle de l'orthographe ? Il suffit de voir la place, des plus modestes, qu'occupe cette dernière dans les barèmes de l'Éducation nationale pour obtenir la réponse...

Cela dit, force est d'avouer que, depuis peu, l'orthographe connaît un regain de faveur. Il est vrai que l'on était tombé tellement bas que c'eût été du vice que de continuer à creuser ! Prenant conscience de la gravité de la situation, l'enseignement supérieur, grandes écoles en tête, a remis à l'honneur une dictée naguère vilipendée et foulée aux pieds. Sur le front de l'embauche, on ne s'est pas seulement aperçu que la maîtrise du français écrit était un critère qui en valait bien d'autres, on a surtout compris que la rigueur dont elle témoignait pouvait être une promesse de sérieux dans l'exercice des fonctions à venir.

Autre indice de cet intérêt nouveau pour l'orthographe : la multiplication des concours. On pouvait craindre que, Pivot ayant raccroché sa légendaire blouse grise, retombât peu à peu le formidable engouement qu'avaient suscité, durant vingt ans, ses grands-messes médiatiques. Fort heureusement, il n'en a rien été. Certes, les « Timbrés de l'orthographe », qui ont pris le relais il y a deux ans à peine, sont encore en rodage et il leur manque toujours, pour l'heure, l'onction des étranges lucarnes. Certes, plus personne ne songe sérieusement à squatter, à New York, la salle de l'Assemblée générale des Nations unies pour y faire s'affronter, le temps d'une dictée, deux cent cinquante concurrents venus du monde entier. À la base, toutefois, l'enthousiasme ne se dément pas.

La Bretagne compte presque autant de clubs d'orthographe que de chapeaux ronds. La Belgique ne se borne pas à faire la dictée une fois, elle a ses joutes quasi hebdomadaires, orchestrées de main de maître par le réputé Cercle d'OR. Notre région elle-même ne donne pas sa part aux chiens : Biache-Saint-Vaast, Comines et Wervicq-Sud, Landrecies, Marquette-lez-Lille, Mons-en-Barœul, Pont-à-Marcq, Wambrechies, pour ne citer que ces communes-là, entretiennent depuis des années une flamme qui ne veut ni ne doit s'éteindre. Et que dire de la Dictée du Furet qui s'annonce, sinon qu'elle ne se contentera probablement pas de passer par ici ce samedi 15 septembre à partir de 14 h 30, mais qu'elle repassera par là les années suivantes ! La signature experte du verbicruciste Julien Soulié est, à cet égard, une assurance tous risques : ne vient-il pas de publier, aux éditions Ellipses, deux cahiers de jeux orthographiques aussi distrayants qu'instructifs ?

C'est que l'on ne rougit plus d'exceller dans ce qu'avec condescendance certains jaloux, assimilant l'orthographe à l'écriture, appelaient hier encore la « science des ânes » !