Les leçons (de grammaire)
de la cérémonie « apaisée » du 8 Mai

< dimanche 13 mai 2012 >
Chronique

La vie politique est un formidable cours de langue, le grand livre de l'actualité vaut tous les Bled du monde : voilà ce que, pour notre part, nous retiendrons de l'édifiante image qu'ont voulu donner, le 8 mai sous l'Arc de triomphe, président en exercice et président élu.

Qu'ont écrit la plupart des gazettes de France et de Navarre, dès le lendemain matin ? Que, pour la circonstance, François Hollande était « aux côtés » de Nicolas Sarkozy. Ce pluriel ne constitue plus aujourd'hui une faute, il est même entré dans les mœurs. « Le pluriel est admis », confirme Joseph Hanse. « Il y a longtemps que l'usage n'a plus de scrupules », renchérit en substance Maurice Grevisse. Dont acte.

Pour autant, il n'est pas interdit, dût-on du même coup passer pour un nostalgique de l'ordre ancien, de s'en tenir au singulier chaque fois que, comme ici, on donne à l'expression son sens propre. D'abord parce que, de toute évidence, et Hanse lui-même le reconnaît, il est difficile, physiquement parlant, d'être aux deux côtés d'une personne à la fois ! François Hollande, en hésitant visiblement, ce mardi, sur la place qu'il convenait de prendre, a illustré à sa manière cette loi, dure entre toutes, que seul un don d'ubiquité permettrait de contourner. Mais dès lors que l'on s'est affiché comme un « homme normal »...

Ensuite — et sans doute surtout ! — parce que toute précision, en matière de langue, est bonne à prendre. Était-il si superflu de pouvoir distinguer, naguère, entre sens propre et sens figuré ? Qui ne verrait, à travers les images émouvantes dont les médias nous ont abreuvés jusqu'à plus soif ces jours derniers, qu'être « au côté » de quelqu'un ne veut en rien dire que l'on soit, quand le combat politique fait rage, « à ses côtés » ? Ces deux-là avaient beau se faire pendant et jouer les garnitures de cheminée autour de l'âtre symbolisé, en l'espèce, par la flamme du Soldat inconnu, chacun comprenait bien qu'en réalité tout les opposait. Qu'ils n'étaient pas, si l'on ose dire, de mèche : seule, d'ailleurs, celle de François Hollande flottait au gré du vent, et les humoristes, non sans toupet, ne se priveront pas de nous la servir en boucle — une façon comme une autre de suggérer que, vu la conjoncture économique, le malheureux n'a pas fini de se faire des cheveux.

En ce sens, bien inspirés ont été les journalistes qui ont renoncé à choisir entre singulier et pluriel, préférant placer les deux acteurs « côte à côte ». Voilà qui était plus consensuel encore et, cerise sur le gâteau, résolvait astucieusement le problème. Plus besoin de se demander, protocole oblige, qui est au côté de l'autre. Et puis toute suspicion de collusion, pour peu toutefois qu'il en fût besoin, se trouvait par là définitivement écartée : on peut fort bien se côtoyer sans s'épauler ! Se coudoyer, même, tout en continuant à jouer des coudes pour se faire une place au soleil... Pourra-t-on jamais inventer plus bel outil que la langue française pour décrire, dans leurs subtils méandres, les manœuvres volontiers florentines de notre politique hexagonale ?

On attendra donc un peu, quand bien même on aurait envie d'y croire, pour verser une larme sur la République retrouvée, le retour de l'Union sacrée, ou encore la France éternelle, une et indivisible. Avec le froid réalisme qui le caractérise, le dictionnaire est là pour nous rappeler que « serrer la main de quelqu'un » n'a jamais signifié que l'on fût prêt... à lui « donner un coup de main » !