Jeux d'adresse

< mercredi 2 août 1995 >
Chronique

À quelque chose vacances sont bonnes ! Ne sont-elles pas l'occasion — pas vraiment rêvée — de réconcilier les Français avec l'écrit, par l'entremise des sacro-saintes cartes postales ? C'est que, pour épater le voisin du dessus ou l'épicière d'à côté, on est prêt à tous les sacrifices... D'imaginer leur mine encouragerait presque à renouer avec le stylo, cet outil des plus primaires qui, pensez donc, n'est pas même pourvu d'un correcteur orthographique ! Bon, c'est entendu : il est rare que la prose en question s'élève au-dessus du niveau de la plage mais quoi  ? L'essentiel est bien que l'on réapprenne les gestes qui sauvent, et c'est toujours ça de gagné...

Quand le français descend dans la rue...

Au risque d'ajouter encore aux légitimes angoisses de nos lecteurs, force est de rappeler ici que les dilemmes commencent en général avec l'enveloppe. Les observateurs les plus attentifs auront sans doute remarqué que d'aucuns — une infime minorité, soyons juste — ne sont pas avares de traits d'union dès qu'il s'agit de libeller l'adresse : avenue Pierre-Curie, boulevard Victor-Hugo, place du Général-de-Gaulle. Ne décrétez pas trop vite que ces originaux mettent... à côté de la plaque, la tradition leur donne raison : en théorie, le trait d'union s'impose, c'est vrai, chaque fois que le nom de rue, d'avenue, de boulevard, de place, de parc, etc., est formé de plusieurs éléments. En revanche, il serait indésirable après une apostrophe (rue Villiers-de-l'Isle-Adam), une particule placée en tête de la dénomination (square Du Bellay), ou dans le cas d'un patronyme qui commencerait par La ou Le (allée La Boétie). Règle bien compliquée, aux origines d'ailleurs controversées. Grevisse, qui note perfidement dans Le Bon Usage que rien de tel n'a cours en Belgique, y voit la marque de l'administration française des postes, qui souhaiterait par là « maintenir à ces noms une forme constante et leur donner une place fixe dans l'ordre alphabétique ». Plus impertinent encore, Joseph Hanse dénonçait là un « usage français, ou du moins parisien »... Comme pour lui donner tort, les Parisiens ont en tout cas été les premiers à vouloir s'en affranchir, le préfet de la Seine l'ayant, il y a peu, proscrit. Voilà qui en déculpabilisera plus d'un, du moins nous l'espérons !

Des chiffres sur des lettres

Autres pierres d'achoppement sur le chemin postal de l'estivant : les chiffres. Selon l'usage toujours, ceux-là doivent s'écrire en caractères romains quand il est question d'un souverain (rue François-Ier), en caractères arabes s'il s'agit d'indiquer une date historique (place du 14-Juillet). Dans tous les autres cas, nombres et chiffres s'écrivent obligatoirement en toutes lettres (boulevard des Trois-Couronnes), ce qui ne réjouira personne et créera même, à l'occasion, quelques problèmes orthographiques supplémentaires sur lesquels nous nous ferons un plaisir de revenir prochainement.

Cas Exemplaire de Dérive Exaspérante !

Un mot, enfin, sur le « cedex », lequel, de plus en plus, se voit gratifier d'un accent aigu d'autant moins seyant que le sigle signifie, on le sait, « Courrier d'Entreprise à Distribution EXceptionnelle ». On se demande pourquoi le Petit Robert s'ingénie à accompagner le mouvement en stipulant, en fin de rubrique, que l'on écrirait mieux « cédex ». Curieux retour des choses, en tout cas, quand, pour des raisons obscures (esthétique, souci de « faire anglais » ?), les accents désertent aujourd'hui la plupart des logos, comme en témoignent France Telecom et Aerospatiale. Vous verrez qu'au bout du compte les vacanciers, las de faire l'épître, s'en remettront une fois de plus au téléphone : ça ne fera pas... un pli !