Dans notre langue,
la mère n'est pas toujours à la fête !

< dimanche 30 mai 2010 >
Chronique

Elle sera aujourd'hui l'objet de toutes nos attentions, et elle le mérite bien. Car la langue, de son côté, ne lui aura pas fait que des cadeaux, la traitant en « mater dolorosa » plus souvent qu'en bonne mère ! Il suffit, pour s'en persuader, d'un bref tour d'horizon de sa progéniture lexicale...

Premier exemple d'un rejeton qui, rapidement, a mal tourné, la marâtre. Issue du latin populaire matrastra, elle n'était, à l'origine, que la « femme du père » pour les enfants que celui-ci avait eus d'un mariage antérieur. Dès le treizième siècle, pourtant, le mot fut pris en mauvaise part et la concurrence avec belle-mère, pour l'expression du lien de parenté, ne serait pas faite pour arranger les choses. Quand, au dix-septième siècle, il s'appliqua à la « vraie mère des enfants », ce fut au prix d'une connotation péjorative qui en faisait une mère dénaturée.

Circonstance aggravante à laquelle la tradition antiféministe de notre littérature n'est sans doute pas étrangère, il est à noter qu'au contraire de ses pendants parâtre et surtout filiâtre, lequel n'a pas survécu au seizième siècle, marâtre est resté (relativement) vivace dans la langue. On s'en est même servi comme d'un adjectif, à l'instar de Ronsard qui, traînant sa mignonne devant la rose, s'indigne du traitement qu'inflige à cette dernière une « marâtre Nature »...

Autre victime de notre indélicatesse, la matrone, dont la parenté étymologique avec mater saute aux yeux. À celle-là qui, initialement, ne désignait rien de plus que la « mère de famille », s'attachait même, dans les premiers temps, une « nuance de noblesse ou de dignité », dixit Alain Rey ! Pas pour longtemps. La femme d'âge mur et de caractère grave allait peu à peu devenir la femme d'un certain âge (pour ne pas dire, selon la plaisanterie convenue, d'un âge certain !), volontiers corpulente, et plus encline à la vulgarité qu'à la gravité.

Le fait que le terme ait aussi désigné la sage-femme — Furetière use de l'expression « en termes de matrone » pour évoquer la gynécologie — ne plaidera pas même en sa faveur. Le dix-septième siècle en fera carrément une maquerelle !

Que dire, enfin, de la commère ? Terme respectable s'il en est à sa naissance, puisqu'il renvoyait à la marraine de baptême, celle qui était « mère avec » (cum mater). Las ! cette caution religieuse s'effaçant, et avec elle cette autre acception, essentiellement régionale, de l'« amie », la « voisine », il ne resterait bientôt plus de place que pour la bavarde, qui colporte les pires ragots. Dans ce sens, et au mépris des lois biologiques, le mot s'est même appliqué à une personne de l'autre sexe, chose proprement inimaginable pour l'homologue compère !

On le voit, la mère n'a pas conçu que des enfants qui lui firent honneur. Elle-même s'est vue quelquefois contrainte d'abandonner de sa superbe, les meilleures intentions du monde ne se soldant que trop souvent, sur le terrain cahoteux de la langue, par d'éclatants revers de fortune. Ainsi le redoublement affectueux mémère, qui ne demandait qu'à bien faire, a eu tôt fait de désigner, de façon nettement moins charitable, une « femme d'un âge avancé, et plutôt grosse » !

Tout à l'heure, au moment du compliment, il faudra trouver les mots qui feront oublier ces trahisons répétées du langage...