Que faire ou quoi faire ?
c'est la question !

< dimanche 21 février 2010 >
Chronique

« Il faut frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui », prétendait l'avisé Montaigne. Rien de tel, en effet, qu'un pèlerinage sur les lieux saints de la francophonie pour redécouvrir, par-delà les inévitables particularismes, la subtilité de notre langue.

Certes, nous nous attendions bien à devoir trancher le sempiternel débat : nos irréductibles cousins du Québec résistent-ils mieux que nous aux anglicismes de tout poil ? Globalement, sans doute. On est même tenté de se montrer plus affirmatif quand, au volant de sa voiture de location, on découvre d'emblée que le STOP s'est réincarné en ARRÊT. Serait-ce le signe que nous ne comprenons plus le français, il nous faut confesser ici que nous l'avons brûlé plus d'une fois ! Mais un examen plus approfondi de la situation nous incline bientôt à revoir notre jugement. Dans les brochures touristiques, autant de shopping que de magasinage. Quant à notre guide — un homme passionnant chez qui l'amour de Montréal suinte par tous les pores —, s'il n'use pas de notre affreux réhabiliter quand il n'est question que de restaurer ou de rénover, le revamper qu'il utilise, pour plus affriolant qu'il soit, n'en puise pas moins aux sources croupies d'Albion. Autres lieux, autres mœurs... mais même influence rampante de l'anglo-américain triomphant !

Cela dit, c'est un autre tour, maintes fois relevé au hasard des journaux, placards et dépliants, qui allait plutôt retenir notre attention : « Quoi faire contre le virus H1N1 ? », « Quoi faire lorsque l'on rencontre un loup ? »

Notre première réaction fut de nous étonner de ce qui, en France, et surtout à l'écrit, participerait du langage relâché. Si en effet l'emploi de quoi dans l'interrogation directe se conçoit (et même s'impose) quand il est précédé d'une préposition (« À quoi se raccrocher ? », « De quoi parler ? »), il est perçu comme familier dès lors que ce dernier est seul : c'est alors que qui nous vient plus naturellement aux lèvres. Et de miser un peu vite sur la spontanéité du parler québécois, resté plus proche du français oral des origines...

Car une réflexion moins hâtive, là encore, a tôt fait de nuancer le propos. D'abord les écrivains, Saint-Exupéry et Marguerite Duras en tête, ne se sont pas toujours montrés bégueules envers ce quoi que l'on ne saurait voir. Ensuite, Le Bon Usage — ce grimoire magique qui n'a pas son pareil pour expliquer aux Jourdains que nous sommes ce qu'ils savent d'instinct mais se sont empressés d'oublier — a beau jeu de souligner que les deux formulations ne sont pas nécessairement bonnet blanc et blanc bonnet. À que les questions peu précises, qui expriment surtout perplexité et impuissance ; à quoi les alternatives plus concrètes et les attitudes plus volontaristes. Celui qui, fataliste, veut afficher son scepticisme quant aux chances d'échapper à la pandémie se demandera : « Que faire contre la grippe A ? » Mais cet autre qui hésite sur l'opportunité d'une vaccination dira plutôt : « Quoi faire ? »

Bref, il n'est pas impossible qu'il y ait plus dans ce quoi que dans ce que, quand bien même il nous paraîtrait moins élégant. Et ce ne sont pas des chtis toujours prompts, au grand dam de celui que l'on mute à Bergues, à nous « dire quoi » qui iront soutenir le contraire !