La paille des mots, le choc des dicos !

< dimanche 21 juin 2009 >
Chronique

Rien ne sert de partir à point, il faut courir ! Pour Larousse comme pour Robert, nous sommes déjà en 2010. C'est qu'entre les deux mastodontes de la lexicographie française la bataille fait rage. Le temps n'est plus où, en vertu d'un pacte tacite de non-agression, l'un faisait dans le dictionnaire de langue, l'autre dans l'encyclopédique : avec son nouveau-né le Dixel, Robert marche dorénavant sur les plates-bandes de son concurrent...

L'usager y trouvera-t-il son compte ? À première vue, oui. La vénérable enseigne nous eût-elle habitués à l'excellence, Larousse n'en a pas moins mis cette année les petits plats dans les grands : l'objet est plus séduisant que jamais, rehaussé de quatre cents illustrations dues au talent de quarante dessinateurs de renom. Mais encore — cent vingtième printemps de la Semeuse oblige, voilà un anniversaire qui tombe à pic — moins cher que jamais, d'autant qu'un second dictionnaire, aussi mignon que minuscule, nous est offert en prime !

Cela dit, force est d'avouer qu'en face ce n'est pas mal non plus. Ce Dixel (mot-valise mariant dico et pixel) est clair et agréable à compulser. Papier et iconographie sont de bien meilleure qualité que dans le Robert des noms propres. Quand il serait moins révolutionnaire qu'on l'insinue — Hachette l'a expérimenté il y a des années —, l'ordre alphabétique unique, regroupant noms propres et mots de la langue, aura ses partisans. Bref, une bonne surprise pour à peine deux euros de plus : on ne saurait décemment proposer un prix anniversaire le jour de sa naissance !

Il n'est pas sûr, en revanche, que la langue gagne à cette empoignade fratricide. D'abord parce que tout sera bon désormais pour faire branché, pour retenir l'attention des médias. Au risque que la paille des mots nouveaux l'emporte sur le grain des choses.

La légendaire prudence de Larousse, si souvent louée, survivra-t-elle à cette nouvelle donne ? On peut en douter, au vu de la brouettée d'anglicismes qui a chu dru sur la présente édition. S'il peut paraître légitime de définir certains termes issus des sacro-saintes « nouvelles technologies », était-il indispensable d'adouber black-lister, « inscrire quelqu'un sur une liste noire » ? Ou encore le hideux caster, « sélectionner lors d'un casting », là où engager ferait très bien l'affaire ? Il ne faudrait pas que, sous prétexte de faire pièce à un Robert par vocation ouvert à tous les vents de la langue, y compris les plus contraires, Larousse oubliât que, pour ses fidèles, l'entrée d'un mot dans son dictionnaire avait jusqu'ici valeur de caution.

Mais il y a pis. Le Dixel, ô surprise ! ne reprend aucune de ces variantes orthographiques grâce auxquelles, l'an dernier, le Petit Robert avait fait ce qu'en bon français on appelle aujourd'hui un buzz. Emportée, la « cahutte » ! Au crochet, la « dentelière » ! Évacué sur les chapeaux de roues, le « charriot » ! Remords ? Pas le genre de la maison. Il est plus vraisemblable, fût-ce difficile à admettre au sein d'une même entreprise, que ce nouveau dictionnaire, mis en chantier il y a trois ans, n'a pas eu vent du virage pris par son aîné en 2008.

Ou alors, et ce serait plus grave encore, il faut y voir l'aveu que, chez Alain Rey, l'orthographe est désormais à deux vitesses : l'une, hardie, dans le Petit Robert, histoire de flatter la clientèle intello ; l'autre, traditionnelle, dans le Dixel, à l'usage du commun des mortels !