L'immigration clandestine,
atout ou danger pour la langue ?

< dimanche 18 mars 2007 >
Chronique

 Pour une coïncidence, c'en est une ! Alors que la polémique fait rage sur l'opportunité de créer un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, la XIIe Semaine de la langue française et de la francophonie, qui prend fin mardi, aura cette année choisi de braquer les projecteurs sur... les mots migrateurs ! « D'une langue à l'autre, lit-on dans la plaquette éditée pour l'occasion par le ministère de la Culture et de la Communication, les mots voyagent, se métamorphosent pour s'installer dans l'usage — ou parfois ne font qu'une courte halte avant de repartir transformés... À travers dix mots que notre langue a empruntés à d'autres langues ou qu'elle leur a légués, la thématique de cette édition met en évidence le rôle des échanges dans l'évolution d'une langue et nous incite à nous interroger sur notre culture et notre identité : l'histoire des langues se confond avec l'histoire des hommes. » De bien belles phrases, qui nous rappellent ce que les linguistes nous répètent depuis toujours, à savoir que le français est fondamentalement une terre d'accueil. Que les mots dont nous nous servons chaque jour sont, pour bon nombre d'entre eux, des sans-papiers que l'on a négligé de reconduire à la frontière — l'opération est, il est vrai, plus délicate encore que quand il s'agit d'êtres humains — et que l'on a fini par régulariser. Mieux : la vitalité d'une langue se mesurerait à cette faculté d'intégrer les vocables venus d'ailleurs, de les « naturaliser » en quelque sorte. Mais alors, objecteront ceux que ce libéralisme linguistique ne convainc qu'à moitié, pourquoi avoir créé, par décret du 3 juillet 1996, une « Commission générale de terminologie et de néologie » ? Pourquoi publier régulièrement, au Journal officiel, des listes de mots « recommandés » afin de faire pièce aux immigrés clandestins qui nous viennent d'outre-Manche, ou plutôt d'outre-Atlantique ? Ne serait-ce pas là, horresco referens, prôner implicitement la « préférence nationale » ? Reconnaître, sans oser l'avouer, l'existence d'un « seuil de tolérance » ? Ce qui, hier, loin de mettre en péril la langue française, contribuait à son enrichissement, dans la mesure où les influences étaient aussi nombreuses que variées, la menacerait-il à présent que l'anglo-américain — on lui a emprunté plus de mots en dix ans qu'en un siècle — est le seul ou presque à contourner nos frontières ? Cette question-là aussi mérite d'être posée. Et vite, si cela se peut.