Pourquoi la Braderie brille...
de mille feux !

< dimanche 3 septembre 2006 >
Chronique

Se faire griller : telle est la hantise du chineur chevronné, un lève-tôt qui redoute par-dessus tout d'arriver trop tard sur les lieux de « la » bonne affaire. À y bien regarder, pourtant, il n'y aurait là rien que de très normal : avant de revêtir le sens qu'on lui connaît, le mot braderie s'est d'abord appliqué à... une rôtisserie ! C'est en tout cas ce que l'on peut lire dans le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey, lequel se réclame d'une attestation isolée, à Lille, au quinzième siècle. Dès 1421, on aurait d'ailleurs qualifié de bradeur le propriétaire d'un restaurant à bon marché, du « fast-food » de l'époque, quoi !  Le verbe brader lui-même — un mot « bien de chez nous » puisqu'il se serait à l'origine manifesté au sein des seuls dialectes wallon et picard — devrait beaucoup au moyen néerlandais braden, « rôtir ». Si cette étymologie a de quoi étonner, jusques et y compris chez ceux qui, tout feu tout flamme, trouveront aujourd'hui naturel de brûler le pavé lillois, elle n'est pas aussi saugrenue qu'il y paraît de prime abord. On peut en effet comprendre que, de l'acception initiale de « rôtir », on soit tout naturellement passé à celle de « gâter par le feu », puis, par le biais d'une nouvelle extension de sens, à celle de « ne pas tirer d'une chose tout le parti possible ». La voie était alors libre pour l'évocation d'un gaspillage, et plus particulièrement d'une vente à vil prix, dans laquelle s'engouffrèrent les patois du cru, rouchi et liégeois en tête. Il faudra toutefois attendre la fin du dix-huitième siècle, voire le début du dix-neuvième, pour qu'en picard et en wallon le terme finisse par désigner une foire annuelle dans les villes flamandes et du nord de la France, où l'on vendait à bas prix vêtements ou objets usagés. La brocante s'en emparera définitivement, dans un sens proche de « liquider », en 1867.

Gageons que, nonobstant les inévitables relents de saucisse et de kebab, il n'y aura dans la tête des visiteurs de 2006, peu enclins, en cette période de rentrée, à flamber leur fortune en achats inconsidérés, pas plus de rôtisserie que de beurre en broche. Aussi bien, et comme chaque année, le risque est faible que cette braderie fasse un four. Tout au plus s'expose-t-on, à certaines heures d'affluence — ce que d'aucuns, sans croire si bien dire, appellent le « coup de feu » —, à y cuire... à l'étouffée !