Zinedine Zidane
a-t-il été insulté ou injurié ?

< dimanche 23 juillet 2006 >
Chronique

Ah ! si seulement Zizou avait jeté un coup d'œil à notre dernière chronique, publiée quelques heures avant la finale, le sort de la Coupe du monde en eût peut-être été changé ! Il y aurait appris, au contact de Giraudoux, que « le corps est plus vulnérable quand l'amour-propre est à vif ». Mise en garde ô combien prémonitoire, hélas restée lettre morte... Au demeurant, la seule question qui mérite d'être posée sous cette rubrique est bien celle qui nous sert de titre : y a-t-il eu en l'occurrence insulte ou injure ? Les médias ont usé indifféremment des deux termes, ce que l'on peut comprendre tant il appert aujourd'hui qu'ils sont quasiment synonymes : les dictionnaires eux-mêmes nous promènent de l'un à l'autre, sans fournir de distinguo convaincant. Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi, l'étymologie l'atteste. Il y a dans l'insulte une agression presque physique : insultare, c'est « sauter sur, bondir contre ». La preuve en est que le mot insult, à l'origine masculin, désigna, bien avant de prendre le sens figuré qu'on lui connaît, un assaut, voire une attaque militaire. On trouve d'ailleurs trace de cette ancienne acception chez Littré, qui fait état d'une « place exposée aux insultes de l'ennemi », mais aussi, et c'est tout dire, dans les Mémoires du maréchal Joffre. Quand Zidane, par conséquent, fait valoir pour sa défense que la provocation est au moins aussi répréhensible que la réaction, c'est plutôt à l'insulte qu'il songe : il a de toute évidence le sentiment d'avoir été frappé le premier. Mais voilà qui ne suffit pas à mettre hors jeu l'injure, laquelle suppose, de son côté, une injustice, une violation du jus latin, c'est-à-dire du droit. C'est tellement vrai qu'avant de se spécialiser, au XVIe siècle, au sens de « parole outrageante », l'injure renvoyait à un dommage beaucoup plus général, qui ne prenait pas nécessairement la forme d'une agression verbale. La langue littéraire ne s'en souvient-elle pas en évoquant les « injures du temps » ? Dans la mesure où le capitaine des Bleus s'est senti rabaissé par les propos du joueur italien — et il ne peut en être autrement pour qu'ils aient entraîné une telle réaction —, il y avait donc aussi injure. Cela dit, les verbes insulter et injurier se voient de plus en plus supplanter, dans le langage familier, par traiter. On ne vous traite plus d'imbécile ou de demeuré, on vous traite, tout simplement. Ce qui démontre assez qu'au royaume de l'offense, la forme l'emporte de beaucoup sur le fond !