Innovations pédagogiques : stop ou encore ?

Ce passé que l'on dit simple...

< mardi 22 octobre 2002 >
Chronique

Mais qui diable a eu l'idée saugrenue de baptiser l'un de nos temps « passé simple » ? C'est de passé compliqué qu'il conviendrait bien plutôt de parler, à en juger par ces perles recueillies, au hasard d'un seul paquet de copies, chez nos élèves de seconde : « les autres s'asseyèrent », « il réfléchissa longuement », « la porte d'entrée qu'elle franchissa », « Élisabeth coura vers la voiture », « il senta tout à coup une suée monter en lui », « la porte arrière de la camionnette s'ouvra », « il vu le morceau de ferraille », « ils atterrissèrent dans un fossé », « les deux hommes charga la voiture », « il trouvit comment faire », « il mangit chez Jean », « les hommes le remercia et lui fient un grand signe », « les collègues proposa de fêter ça », « il en conclua qu'il allait la mettre chez lui », « il receva un coup de téléphone », « il entendu un bruit sourd », « il en remetta un », « il se souvena qu'il n'avait pas payé », « c'est comme ça que se terminit ce débat ». Et nous ne citons là que les barbarismes, passant sous silence ce qui relève de la vénielle faute d'orthographe : « il jetta », « il raillât » (du verbe rayer !), « il apperçu », « il pu », « il bu », « il  », « il mourru », « il se dirigeat », « il mis », « il lu », « il sortît »... Force est d'ailleurs d'avouer que nos chères têtes blondes ne sont qu'à demi responsables de cette Berezina grammaticale : voilà des décennies qu'à l'école et au collège — et au grand dam de la plupart des enseignants — l'apprentissage des savoirs de base, jugé rébarbatif par nos docteurs des sciences de l'éducation, est devenu pour ainsi dire hors la loi, sacrifié qu'il se trouve de fait sur l'autel de l'innovation pédagogique et de la sacro-sainte « créativité ». Pour le brillant résultat que l'on constate ci-dessus, et il va de soi que le génocide du passé simple n'en est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Le nouveau pape de l'Éducation nationale Luc Ferry, qui, en matière de repentance, n'aura bientôt plus rien à envier à son homologue Jean-Paul II, vient d'ailleurs de le reconnaître avec éclat (notre édition du 15 octobre) : « Il y a, reconnaît-il, deux domaines où il faut être conservateur, qui relèvent de la transmission d'un héritage, d'un patrimoine : l'apprentissage de la langue et de la civilité. Il faut en connaître les règles et se les approprier. » C'est tonton Jules qui a dû se retourner d'aise dans sa tombe !