Il y a de la contestation dans l'air !

Qui sème le vent...

< mardi 16 janvier 1996 >
Chronique

Est-ce l'an neuf qui réveille l'ardeur de nos lecteurs ? Ou la constatation, depuis un article récent, que personne, pas même Bernard Pivot, n'est à l'abri des apostrophes ? Toujours est-il que le courrier, ces temps-ci, se fait gentiment polémique. Réaction saine s'il en est, et dont nous ne saurions trop nous réjouir : c'est le jour où notre langue ne suscitera plus qu'indifférence, où des bah ! tiendront lieu de débat, qu'il faudra s'inquiéter pour de bon...

Quel avenir pour le futur ?

C'est tout d'abord un lecteur de Bruay-la-Buissière qui s'insurge contre la propension — selon lui journalistique — à user du futur dans un récit au passé. Et de joindre, pour étayer ses dires, une coupure où l'on peut lire : « Après avoir servi la France lors de la Seconde Guerre mondiale, il intégrera la police nationale, et ce jusqu'en 1972, date à laquelle il fera valoir ses droits à la retraite. » Le passé simple, objecte notre Bruaysien, ne serait-il pas plus indiqué ? En fait, ce futur-là porte un nom, le futur d'anticipation, et bon nombre de grammairiens le cautionnent. Plus encore que des journalistes, il est l'apanage des historiens qui, se référant à des faits passés, décrivent, par le biais de ce futur, les conséquences qui en découlent. S'il ne constitue donc pas, à proprement parler, une faute, concédons à notre lecteur qu'il serait malvenu d'en abuser ! D'abord parce que le risque existe d'engendrer une certaine confusion dans la chronologie des événements ; ensuite et surtout parce qu'un procédé stylistique, pour conserver son efficacité, doit se faire rare...

Déton(n)ant, non ?

Mais cette rubrique, on ne s'en étonnera pas outre mesure, n'est point épargnée. C'est ainsi que, tout en épousant nos thèses sur le cent d'encres, un lecteur lillois s'étonne que nos détonantes contestations ne prennent qu'un n. Voilà ressuscitée une controverse vieille de quelque huit années, qui avait en son temps défrayé la chronique des championnats d'orthographe ! Notre consœur Michèle Balembois s'était vu priver, on s'en souvient, d'une victoire méritée en écrivant « le langage drolatique et détonant des sans-culottes » quand le jury ne jurait que par détonnant... Notons au passage que ce déni de justice n'empêchera nullement l'intéressée — pardon pour ce futur d'anticipation — de devenir, dans les années qui suivront, championne de France, de Belgique et Dico d'or... Il s'agissait donc pour nous d'un clin d'œil, d'une allusion à une autre de ces ambiguïtés dont nous déplorons la présence lors des compétitions. À l'instar de la langue gaillarde des révolutionnaires, les contestations peuvent sortir du ton, choquer, et s'écrire détonnantes (encore qu'aucun dictionnaire usuel ne recense ce terme en tant qu'adjectif) ; elles peuvent aussi, au figuré, se révéler explosives, faire du bruit, et c'est ce dernier sens que, vu le contexte, nous entendions privilégier..

Brisque, brisque, rage !

Cela dit, c'est l'expression vieux briscard, dans ce même article du 19 décembre, qui a fait sortir du bois un lecteur de Phalempin. Non sans humour, ne crie-t-il pas au pléonasme ? Convenons avec lui que le briscard, soldat chevronné (la brisque, en argot militaire, désigne le galon, ce qui explique que le chroniqueur en ait pris pour son grade), ne se recrute pas au berceau. Toutefois, utilisée au figuré pour désigner, plus généralement, des gens d'expérience, cette expression toute faite ne nous semble pas plus pléonastique que celle de vieux loup de mer. Larousse et Robert y voient tout au plus une locution familière, alors qu'ils sont sans pitié pour les car en effet, panacée universelle et autres pléonasmes de gala... Un signe qui ne trompe pas et qui, pour nous, a valeur d'absolution !